Marie-Joseph Angélique,communément appelée Angélique ou « Angelica;» était le nom donné par ses derniers propriétaires à une esclave noire d’origine portugaise en Nouvelle-France (plus tard la province de Québec au Canada). Esclave, elle fut jugée et reconnue coupable d’avoir mis le feu à la maison de son propriétaire et d’avoir brûlé une bonne partie de ce que l’on appelle aujourd’hui le Vieux-Montréal.
Angélique est née au Portugal, qui a été un acteur important dans le lucratif commerce atlantique des esclaves, et a ensuite été vendue à un homme flamand nommé Nichus Block ou Nicolas Bleeker qui l’a amenée vers le Nouveau Monde.
Elle a vécu en Nouvelle-Angleterre avant d’être vendue en 1725 à un important homme d’affaires français de Montréal nommé François Poulin de Francheville, et après sa mort en 1733, elle appartenait à son épouse Thérèse de Couagne.
L’esclavage en Nouvelle-Angleterre et de Nouvelle-France était essentiellement domestique, car contrairement à la partie sud de ce qui allait devenir les États-Unis l’économie n’était pas fondée sur le travail de plantation à grande échelle.
Angélique a donc travaillé à la maison des Francheville, à Montréal, et parfois aidé à la petite ferme familiale sur l’île de Montréal, qui a été principalement utilisée pour produire des biens pour les expéditions commerciales le la famille de Francheville.
Angélique a eu trois enfants à Montréal : un garçon né en 1731 qui a seulement vécu un mois et des jumeaux en 1732, tous deux décédés dans les cinq mois après leurs naissances. Le père enregistré dans les documents de baptême officiels fut Jacques César, un esclave noir de Madagascar qui a appartenu à Ignace Gamelin, un ami de Francheville. On ne sait pas si Angélique et Jacques étaient amants par choix ou si leurs propriétaires les ont forcés à se reproduire.
Pendant l’année précédant l’incendie et le procès, Angélique s’est impliquée dans une relation avec Claude Thibault, un serviteur blanc sous contrat, qui était employé par les Francheville. Suite au décès de M. Francheville en novembre 1733, l’exploitation de ses entreprises et la succession occupent une grande partie du temps de Mme Francheville. Au début de 1734, étant prise par des affaires immobilières à Trois-Rivières, la veuve a demandé à son beau-frère Alexis Monière à garder son esclave et son serviteur pour elle jusqu’à son retour.
Le 22 février, alors que la veuve était encore loin, Angélique et Claude ont tenté de fuir vers la Nouvelle-Angleterre, par le fleuve Saint-Laurent gelé. Ils se sont arrêtés pour récupérer un pain que Claude Thibault avait caché dans une grange de Longueuil en préparation de leur escapade.
Cependant, le froid Canadien a contraint les deux individus à se réfugier à Châteauguay, près de la route de Chambly, jusqu’à ce que la météo s’améliore. Ils ont été capturés quelques semaines plus tard et retournés à Montréal par trois miliciens. Thibault a été emprisonné le 5 mars et libéré le 8 avril, la veille de l’incendie qui brula une bonne partie de la jeune ville de Montréal. Angélique lui a rendu visite à plusieurs reprises alors qu’il était en prison et lui apportait de quoi se nourrir.
Quant à celle-ci, elle fut tout simplement remise à madame de Francheville, sans être disciplinée, de quelque manière que ce soit, pour sa tentative de fuite. Peut-être parce qu’on prévoyait déjà la vendre. Comme mentionné lors du procès, Thérèse de Francheville s’est trouvée incapable de contrôler Angélique et avait l’intention d’accepter une offre faite par un des associés de son mari décédé, François-Étienne Cugnet: 600 livres de poudre à canon. L’offre était conditionnelle à ce que la veuve couvre les frais d’envoi d’Angélique vers Québec, où vivait Cugnet. La peur d’être vendus et éventuellement se retrouver dans les Antilles fut peut-être le motif de la tentative d’évasion.
Les tensions étaient fortes entre l’esclave et sa maîtresse. La veuve de Francheville a congédié une servante libre, Louise Poirier, en raison de querelles et les discordes entre l’esclave et la servante. Angélique lui a promis qu’elle pourrait éventuellement faire tout le travail mieux que Louise Poirier, en espérant qu’une bonne performance de sa part ferait fléchir sa maîtresse et la garderait. La veuve accepta, mais promit à Louise qu’elle communiquerait avec elle, dès le départ d’Angélique vers la ville de Québec.
Après sa libération, Thibault, rendit visite à Mme de Couagne pour réclamer son salaire. La femme paya et avertit Thibault de ne jamais remettre les pieds dans sa maison. En colère, elle lui confirma également qu’Angélique avait été vendue et serait expédiée à Québec dès que la glace fonderait.
Claude Thibault ignore cet ordre et rend visite à Angélique plusieurs fois pendant l’absence de la veuve Couagne. C’était le début d’avril. Ils savaient tous deux que le fleuve Saint-Laurent serait bientôt de nouveau praticable pour les navires, et qu’Angélique ne serait plus à Montréal pour très longtemps. Angélique annonce donc à une servante son intention de s’enfuir de nouveau. Il est possible qu’elles aient comploté de mettre le feu pour couvrir leur fuite.
Dans la soirée du 10 avril 1734, tandis que l’esclavagiste était à l’église, Angélique crie « au feu! »
Entendus, les voisins tentent d’éteindre l’incendie, mais il se propage rapidement et dans les trois heures, 46 bâtiments ont été détruits, y compris une grande partie du secteur marchand, le long de la rue Saint-Paul, ainsi que l’hôpital et le couvent de l’Hôtel-Dieu.
Personne n’a été blessé dans l’incendie. Comme Angélique et Thibault ont aidé à sauver des biens des maisons brûlées, des rumeurs ont commencé à circuler les accusant d’avoir mis le feu.
L’origine de la rumeur semble avoir été les observations faites par Marie-Manon, une esclave détenue par les voisins de Mme de Couagne, les Berey des Essars. Au moment où le feu s’était éteint, l’opinion populaire voulait qu’Angélique eût mis le feu. Elle a été arrêtée le lendemain matin. Un mandat d’arrêt a également été publié plus tard pour Thibault, mais bien qu’il ait été vu à nouveau le mardi matin après l’incendie (deux jours plus tard), au moment où les huissiers de justice énoncent son mandat d’arrestation, il avait disparu et n’a plus jamais été revu en Nouvelle-France.
Angélique a été inculpée et jugée. La loi française à l’époque permettait qu’un suspect soit arrêté sur la « rumeur publique », lorsque la communauté a décidé qu’un suspect est coupable. Au cours des six prochaines semaines, l’accusation a appelé un grand nombre de témoins. Aucun témoin n’a vu Angélique mettre le feu, mais ils ont tous affirmé qu’ils étaient certains qu’elle l’ait fait.
Ils ont témoigné longuement du caractère d’Angélique. On dit que c’est une esclave qui se comporte mal, qui répond souvent à sa maitresse. Cependant, aucune preuve solide n’a été présentée quant à sa culpabilité.
Frustré par le manque de preuves pour condamner Angélique, la poursuite envisage d’appliquer la torture avant de porter le jugement final, une procédure très inhabituelle qui a été rarement autorisée en Nouvelle-France.
Malheureusement, pour Angélique, un témoin oculaire se pointe soudainement : une fillette de cinq ans, prénommée Amable. L’enfant témoigne qu’elle a vu Angélique, transportant une pelletée de charbon au grenier de la maison l’après-midi où le feu a commencé.
C’est tout ce qu’il faut comme preuve pour permettre au procureur de clore son affaire. Le juge et les quatre commissaires, convoqués pour participer à la sentence, ont tous reconnu qu’Angélique était coupable.
Mme Denyse Beaugrand-Champagne, une auteure, souligne que personne ne s’est demandé pourquoi il a fallu si longtemps pour que la petite Amable se manifeste dans une ville où le feu et le procès étaient connus de tous. Elle attribue cette volonté soudaine de la petite fille au fait que trop nombreux sont ceux qui avaient perdu beaucoup dans ce feu et un bouc émissaire était nécessaire.
Voici un extrait de la sentence :
Sentence du Conseil supérieur contre Marie Joseph Angélique, négresse, pour crime d’incendie à Montréal, 12 juin 1734.
Procureur general du Roi a mis et met les dittes appellations et sentence dont est appel, au néant Emendant a condamné laditte Marie Joseph Angelique pour réparation de l’Incendie par Elle Commis et autres cas mentionnés au procès, a faire amende honorable nüe en Chemise, la Corde au Col, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux Livres, au devant de la grande porte et principale entrée de l’Eglise paroissiale de ladite Ville de Montreal, où elle sera menée et conduite par l’Executeur de la haute Justice Et là agenoux dire et declarer a haute et intelligible voix que mechamment temerairement et comme mal avisée Elle a commis Ledit incendie dont Elle se repent, En demande pardon à Dieu, au Roi et a Justice; ce fait menée en la place publique de ladite Ville de Montreal pour y etre pendüe et Etranglée tant que mort s’ensuive a une potence qui pour cet Effet sera plantée sur ladite place, et ensuite son Corps mort mis sur un buché allumé pour y etre brulé et consommé et les Cendres Jettées au vent, ses biens acquis et confisqués au Roi; ladite Marie Joseph Angelique prealablement appliquée a la question ordinaire et extraordinaire pour avoir par sa bouche revélation de ses complices;
La question ordinaire s’agit d’attacher fermement les jambes de la prisonnière entre des planches de bois dur, et d’insérer à coups de maillet un coing de bois, appliquant ainsi une pression croissante qui écrase progressivement les jambes de la prisonnière, pendant que le juge tente de lui faire avouer son crime. La torture des brodequins était conçue pour broyer les jambes. Les blessures étaient souvent si sévères que les os éclataient. Cette torture moyenâgeuse fut appliquée par Mathieu Léveillé , un esclave Noir.
Angélique, avoua immédiatement, tout en répétant qu’elle et qu’elle seule avait mis le feu, demanda au tribunal de mettre fin à sa misère et de la pendre.
La même journée, le 21 juin 1734, au cours de l’après-midi, Marie-Joseph Angélique est menée une ultime fois à travers les rues de Montréal et, après un arrêt devant une l’église, monta un échafaudage en face des ruines des bâtiments détruits par le feu. La femme fut pendue, étranglée jusqu’à ce que mort s’ensuive. Son corps fut jeté dans le feu et ses cendres dispersées au vent.
Afua Cooper a publié un livre en anglais en 2006 sur Angélique, qui défend la thèse selon laquelle Angélique a effectivement allumé le feu 1734, par rébellion justifiée contre son propriétaire et comme une couverture pour une tentative d’évasion. Le livre de Cooper passe aussi beaucoup de temps à critiquer les Canadiens Blancs pour ce qu’elle considère comme une tentative de minimiser ou de nier la réalité de l’esclavage dans l’histoire du Canada. Elle affirme que la transcription du procès d’Angélique peut être considérée comme le premier récit d’esclave dans le Nouveau Monde.
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