C’est au XIX ème siècle, pendant le déferlement colonial que le christianisme s’est largement implanté en Afrique noire. Asseoir cette nouvelle religion ne se faisait pas sans impacts psychologiques, voire une crise identitaire pour le Nègre converti.
La religion est un trait principal du peuple africain. Elle constitue le creuset où s’entremêlent son patrimoine idéologique et ses manifestations sentimentales. Avec l’avènement du christianisme, des apports occidentaux rattachés à cette religion apparaissent pour envahir cet apanage socioculturel. La diffusion du christianisme, tel qu’elle a été faite par des méthodes souvent imprégnées d’occidentalisme, était un élément de déstabilisation des structures sociales traditionnelles.
Les préjugés avec lesquels arrivaient les missionnaires, leurs pratiques souvent loin de compatibilité avec la mentalité indigène provoquèrent des problèmes d’adaptation des Noirs avec la nouvelle religion. De là résulte le problème d’une crise identitaire du nègre chrétien. Intolérant à l’égard de l’héritage animiste ancestral qui fait partie intégrante de la culture africaine, la nouvelle religion plonge les nouveaux convertis dans la crise identitaire. L’Africain ne cesse de se demander comment devenir chrétien et rester soi-même :
« Le vrai problème paraît être le suivant : comment l’Africain peut-il, et est-ce possible, se sentir à la fois authentiquement africain, c’est-à-dire assumant pleinement l’héritage culturel du négro-africain dans ce qu’il a d’essentiel, et authentiquement chrétien ou musulman c’est-à-dire en vivant réellement le message évangélique ou coranique? N’est-ce pas là le vrai dilemme existentiel de nous autres, négro-africain, et le drame que d’aucuns intellectuels convertis au Christianisme ou à l’Islam vivent par moment, en ces heures, des crises de conscience, où l’on se sent mal à l’aise, voire quelque peu honteux sinon coupable de renier le patrimoine ancestral en changeant de mentalité pour épouser une culture autre. »
– Maurice Ahanhazo. Religion, Cultures et Politique en Afrique noire, Paris, Ed. ECONOMICA, 1981
Pour maintenir un équilibre culturel et religieux, il existait des cas où des Noirs convertis pratiquaient une duplicité, autrement dit, avoir la foi chrétienne et garder les croyances et les pratiques animistes. On se permet de dire ici que bon nombre de chrétiens africains sont, en vérité, des animistes chrétiens. Nous pouvons avancer que les missionnaires avaient en quelque sorte leur part de responsabilité dans l’ébauche de la crise identitaire du Nègre. En effet, pour implanter la nouvelle religion dans le continent noir, l’Église avait contribué, volontairement ou involontairement, à la destruction des traditions et coutumes indigènes : polygamie, pratiques magiques, rites funéraires, rites d’initiation ou excision; tout est considéré comme primitif ou satanique et, par conséquent, il est condamné à l’anéantissement.
Si, toutefois elle trouve son compte dans certains usages et mœurs, l’Église en profite pour se montrer tolérante vis-à-vis de la tradition indigène : en somme, pour qu’une civilisation païenne devienne chrétienne, il faut déceler ce qui en elle doit vivre et ce qui s’achèvera dans l’Évangile.
L’appréciation des missionnaires décide donc du sort des mœurs et des usages indigènes. C’est une véritable illusion de penser que les Occidentaux, et en particulier les missionnaires, pouvaient imposer intégralement leur civilisation. Une civilisation ne se transfère pas.
C’est un ensemble de composants cognitifs, intellectuels, organisationnels et même techniques qui ont besoin d’une longue gestation pour se concrétiser et non seulement d’un heurt intermittent comme c’est le cas de la colonisation. Certes, la culture indigène était masquée ou plutôt asphyxiée par des contraintes politiques, économiques ainsi que par le modernisme; cependant, elle persistait, mais de quelle façon : Elle était agonisante. Favorisés par la protection coloniale et l’appui financier et logistique de son administration, les missionnaires exerçaient dans un contexte dichotomique : coopérer avec les dominants et évangéliser les dominés.
La sclérose de la culture du peuple asservi laisse l’indigène dans un vide culturel et devient ainsi un déraciné à la recherche de son identité culturelle telle une épave à la merci des vagues et des courants. Appréciant la métaphore de G. MOSMANS :
« Devant l’effondrement de toutes les valeurs traditionnelles qui donnaient un sens à la vie, qu’allait devenir l’Africain? – Un désespéré errant à la recherche de son âme perdue, une épave que le hasard des vagues et des courants allait ballotter à son gré. Ces courants avaient noms : religion, politique, civilisation. La religion chrétienne fut une désillusion, la politique, une imposture. »
– MOSMANS, Guy. L’Eglise à l’heure de l’Afrique, Tournai, Ed. Casterman, 1961. p.95
Des fables comme « mission civilisatrice» et de « sauvagerie des noirs » n’étaient qu’alibis pour justifier le colonialisme. En réalité, l’administration coloniale œuvrait pour mettre le Nègre en situation de dépendance. Cette dépendance saisit tellement le Nègre jusqu’à créer chez lui des conflits psychologiques ou ce que Mosmans appelle le complexe de dépendance. À lui encore la parole :
« La colonisation n’a été possible que parce que le « sauvage » à coloniser était affecté d’un complexe de dépendance /…/ Si complexe de dépendance il y a, il est conséquent et non antécédent à la colonisation. A leurs yeux, l’aspect le plus tragique de la colonisation c’est précisément la blessure profonde qu’elle cause dans la spontanéité de la liberté humaine, la mutilation qu’elle fait subir à l’auto détermination, à l’esprit d’initiative qui caractérise l’homme, en faisant de lui un acquiescement inconditionné à une autorité qui le brime. »
– MOSMANS, Guy. L’Eglise à l’heure de l’Afrique, p. 91
Ici, il est légitime de se demander où sont passés les mécanismes organisant la civilisation ancestrale avant l’arrivée des missionnaires. La réponse à cette question passe d’abord par admettre la supériorité de la civilisation occidentale avec son système organisationnel, intellectuelle et technique. Les mécanismes de la civilisation indigènes, autrefois dynamiques, se trouvaient, dans la situation coloniale, broyée par la mise en place des organismes coloniaux. Cette agonie, cette inertie, était caractéristique de toutes les sociétés colonisées qu’elles soient en Afrique noire, en Afrique du Nord ou en Asie. Le déchirement identitaire des Noirs servait à merveille la cause missionnaire. Sous un voile bienveillant, l’église recueille à bras ouverts un être déchiré et en discorde avec soi-même.
Entre un malaise ressenti par le Noir devant les instructions de la nouvelle religion et l’hégémonie de certains missionnaires, la non-compréhension régnait entre les deux côtés. La distance était grande entre les bergers missionnaires et leurs brebis.
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