L’histoire de l’esclavagisme semble être connue de tous. Et pourtant, l’atrocité des voyages amenant les Noirs de l’Afrique vers l’Amérique par les Blancs pour y être asservis à fait école et constitue l’essentielle des connaissances acquises des Noirs peuplant le Nouveau Monde. Qu’en est-il vraiment? Quel est l’apport de leurs frères et pères africains dans ce commerce sans nom qui a extrait environ douze millions d’Africains entre le 16e et 19e siècle? Comment a-t-on toléré un commerce d’êtres humains pendant aussi longtemps?
Les moyens et les méthodes, mis au service de ce trafic par les Européens sont généralement bien connus. Les trafiquants et armateurs négriers sont connus, qu’ils soient Anglais, Français, Espagnols, Flamands, Portugais ou rendus célèbres par l’histoire comme Christophe Colomb.
Le 15e siècle ouvre la route de l’Afrique aux Européens. En cherchant des richesses, les Portugais allaient découvrir des ressources inépuisables; l’ivoire, la gomme, le bois, les épices, et… l’or. La chevauchée des cotes africaines mena les Européens à fonder des établissements sur les côtes orientales et occidentales africaines. Ils les couvrirent de points d’attache qui se transformèrent, au fil des ans, en comptoirs d’échanges. C’est dans ce cadre qu’évoluera, pendant quatre siècles, le trafic d’êtres humains à un niveau jusque là inconnu.
Au 15e siècle, au début de la traite négrière, une exclusivité portugaise, ceux-ci se vautrant dans la religion pour légitimer leurs actions, menaient des razzias, rapts, vols à grandes échelles pour s’alimenter en esclaves sur le continent noir avec l’aval officiel du pape Eugène IV dès 1442. Les Africains y furent absents en tant qu’acteurs. Aucun agent africain, a voir des cas exceptionnels, n’invita les Européens à prendre cargaison d’hommes noirs voués à l’esclavage.
Peu à peu, les marins portugais prenaient goût sinon plaisir à ces aventures de rapts glorifiées à leur retour. Cependant des confrontations avec la population autochtone noire faisait des morts parmi les Européens. Les Portugais finirent par envisager une manière plus sure pour se procurer des esclaves: l’échange. De négociations donc prirent forme. Les Portugais commencèrent par signer des traités en bonne et due forme avec les chefs africains au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les terres, de la Mauritanie au Sénégal, jusqu’au golfe de la Guinée et à l’Afrique centrale.
En 1458, le prince Henri envoya Diogo Gomes pour négocier des traités avec les Africains. Une entente qui devait garantir que les Portugais ne voleraient plus d’esclaves tout en préparerant la visite d’Africains au Portugal. Couvert de cadeaux à son arrivée par des observateurs africains, Gomes oublia sa promesse et ramena 650 esclaves au Portugal. Il écrira : « Je les ai rassemblés comme si c’était du bétail pour les embarquer. Tous nous avons fait de même. »
À cette époque, la traite est une affaire portugaise. Le nouveau souverain portugais, le prince Jean, couronné en 1481, désire confirmer son monopole sur le continent africain. Il construisit une forteresse à Elmina, sur la cote ghanéenne. Ce bastion devint, avec l’assentiment du roi local, le roi Ansa amadoué par des cadeaux et un prix par tête d’esclave, un dépôt de captifs et un centre actif de la traite humaine.
Les premiers rapports entre les souverains africains et les Portugais furent ainsi établis sur la base de l’évangélisation des habitants. Très tôt, les souverains congolais, à l’instar du roi Alfonso 1er, à partir de 1491, se convertirent au catholicisme. Durant son règne (1506-1543) Alfonso imposa le catholicisme comme religion d’État. Il débaptisa lui-même sa capitale Mbanza Congo qui devint San Salvador et ouvrit tout grand son pays à son « ami » le roi du Portugal. D’ailleurs, après des études à Rome, le fils d’Alfonso, Henrique, fut consacré évêque en 1518. Celui-ci marquera l’histoire en tant que premier évêque noir.
Dans la correspondance d’un ambassadeur du roi portugais pour développer le commerce des esclaves avec le roi du Congo, on note le souhait du souverain de contrôler personnellement le trafic. Mais les exigences des Portugais en captifs devinrent vite excessives et Alfonso ne disposait que de quelques esclaves, que ceux que lui procuraient les guerres avec l’État voisin de Makoko. Du coup, les Congolais commencèrent a razzier leurs voisins, les Mbundus. Finalement, tel un monarque européen, Alfonso 1er renonça à son monopole, ouvrit les vannes du commerce et taxait l’exportation d’esclaves.
En 1540 Alfonso s’adresse ainsi au roi du Portugal ainsi : « Mettez tous les pays de Guinée d’un côté et seul le Congo de l’autre et vous verrez que le Congo produit plus que tous les autres réunis. Nul roi dans ces régions n’apprécie autant que nous les produits portugais. Nous encourageons la traite, la soutenons, ouvrons des routes et des marchés ou l’on trouve les “pièces de l’Inde”.»
Et l’exemple congolais devint malencontreusement contagieux. Financé par les Portugais, les Pangu à Lungu se mirent à razzier à leur tour.
Le premier coup porté à la suprématie portugaise en Afrique fut par les Hollandais. Ils érigèrent le fort Nassau à quelques kilomètres d’Elmina en 1612. Puis ils prirent pied au Sénégal, à Gorée, aujourd’hui « île-mémoire » de la traite négrière qui devint française en 1677, anglaise en 1758, pour redevenir française en 1817. Avec la prise de Bahia et de Pernambouc au Brésil, à partir de 1624, l’avidité des Hollandais pour les esclaves noirs augmenta. Sans réelle relation en Afrique et en perpétuelle quête d’esclaves, après s’être mis à attaquer les négriers portugais qui mouillaient au large, en 1637 les hollandais s’emparèrent d’Elmina. Ces guerres iront crescendo entre Européens que sont les Français, Anglais, Hollandais, Espagnols.
Avec la nécessité de pourvoir les plantations américaines, la recherche d’esclaves noirs deviendra, à partir du 17e siècle, la seule raison d’être de la présence européenne sur les cotes d’Afrique, l’esclave ayant la primauté sur tous les autres produits de commerce. Alors que les Arabes réduisaient en esclavage aussi bien les Blancs que les Noirs, même convertis, le Noir fut l’objet exclusif de la traite européenne. Cette nouvelle ère de concurrence féroce relégua le Portugal à un rang mineur.
Les Européens ne pouvant avoir un accès direct aux populations à l’intérieur de terres, il devint impératif d’obtenir le concours d’intermédiaires locaux: les souverains et les chefs. Les traités établis fixaient d’abord le cadre physique, lieux et commerce, par la concession de baux à durée déterminée, le plus souvent perpétuelle. Selon les clauses du traité, les aménagements indispensables au commerce étaient créés : forts, comptoirs, ainsi qu’autres bâtiments nécessaires à la traite d’esclaves étaient aménagés par les Européens. Le traité offrait la garantie du service d’une multitude d’auxiliaires dépendants du souverain africain. Au 18e siècle ces auxiliaires seront des soldats qui défendaient les « captiveries », en plus d’en fournir en esclaves. En contrepartie, les négriers payaient un loyer convenu. Le traité fixait également les modalités de la traite selon la volonté et les règles édictées par le roi africain. Ainsi fut défini un véritable protocole de la traite : l’accueil des trafiquants européens, les gestes et paroles à avoir envers le roi, les cadeaux (ou coutumes) qui lui étaient destinés. L’usage fut défini par les Africains et respecté par les négriers européens qui les dopaient de marchandises.
Les simples comptoirs allaient devenir vers la deuxième moitié du 17e siècle de véritables fortifications, des camps retranchés aux allures de villes, propices à la traite humaine. Les marchandises, appât pour la traite négrière, y seront entreposées. Au cours de ce siècle, l’essentiel des navires « de grands bazars flottants » quittant les ports européens était principalement confectionné de ces produits de séductions, sans valeur en Europe et prisés en Afrique. On y trouvait des vêtements de théâtre usés et rapiécés dont se drapaient les rois africains, des miroirs, des bijoux de pacotille, des couteaux, des boucles d’oreilles très prisés par les épouses des chefs, des mouchoirs colorés, des vieilles pipes, du tabac et des armes, de vieux fusils au maniement dangereux, et puis surtout, de l’alcool au centre de toutes les cargaisons.
Selon André Ducasse: « La traite la plus fréquente se fait sous contrôle de souverains, damel, alcairs, braks, manfoucs, princes, principules, que les Européens traitent comme des puissances, comme s’il s’agissait de Sa Majesté britannique ou de Versailles. Tyranneaux, tantôt débonnaires et obséquieux, tantôt féroces, toujours cupides, ils permettent au navire de mouiller en rade et d’y séjourner. » L’arrivée d’un navire négrier le long des cotes d’un État africain et son mouillage en rade mettait tout le système en branle et le petit monde des acteurs en émoi.
Les intermédiaires les plus efficaces qu’ait produits l’Afrique ont été les métis. Leur efficacité venait du fait qu’ils étaient aussi à l’aise dans les deux communautés, africaine et européenne. Véritables animateurs du processus, d’une efficacité redoutable, ils étaient partout sur la cote, de la Sénégambie à l’Angola et en Afrique orientale.
De 1698 à 1700, les trafiquants privés Anglais envoyèrent 42 000 esclaves en Jamaïque. Entre 1721 et 1730, l’Angleterre seule transporta plus de 100 000 esclaves en Amérique. Du côté de la France, 100 000 esclaves dans la seule décennie de 1730 sous la grande satisfaction du roi Louis XV. Son ministre de la marine, Choiseul, écrivit : « Je tiens ce commerce comme moteur de tous les autres. » Et pour dire, dans la décennie de 1780 le nombre plafonne à 270 000 Noirs exfiltrés d’Afrique.
Avec cette pression, cette forte demande, les Noirs se mirent à razzier les Noirs, comme l’explique Charles Bens Wadstrom que le roi de Suède avait envoyé en 1787 passer une année en Sénégambie. « Les razzias s’y faisaient comme partout ailleurs la nuit tombée. Le roi envoyait ses cavaliers armés de fusil, de pistolet /…/ à la recherche de tous ses sujets qu’ils pouvaient surprendre. »
Puis après une semaine passée dans la cité de Joal au côté du roi de Barbassin : « Ce roi noir, n’appréciait pas beaucoup la manière dont on le forçat à harasser ses sujets. Mais les officiers français et les mulâtres qui accompagnaient les ambassades l’excitaient, l’intoxiquaient délibérément d’alcool, pour qu’il envoie ses cavaliers razzier ses propres villages. Tous les matins, Français et mulâtres se mettaient d’accord pour saouler le roi. »
Le 18e siècle allait devenir l’âge d’or des acteurs africains dans ce commerce triangulaire, puisque la déréglementation de la vente d’esclaves dans les colonies américaines amenait une nouvelle forte demande de main d’oeuvre servile. Les Français domineront ce commerce durant ce siècle de par leur supériorité militaire et des marchandises, de l’alcool notamment, de meilleure qualité. Ils multiplieront les traités avec les rois africains comme celui avec le roi Amony d’Anamadou le 24 avril 1786. Ce traité significatif s’ouvre comme suit :
« Amony, roi d’Anamadou dont les États font partie du royaume des Fantins et ses sujets ayant désiré chez eux l’établissement des Français pour jouir des prérogatives dont jouissent les autres nations qui y sont établies./ …/ En conséquence les chefs des nations s’étant assemblé, le lundi vingt-quatre avril de l’année mil sept cent quatre-vingt-six sur le vaisseau de l’Expériment, mouille dans le rade d’Amokou, le Sieur Chavalier de Girardin d’une part et de l’autre Kouakou Nounon, second frère du roi, Bany fils du roi, Bignetaut cabécher d’Ayuya, Jeannot Kouakou nègre baptisé en France parlant français servant d’interprète et d’agent pour la nation française /…/ ont arrêté les articles suivant: 1- Il sera concédé à Sa Majesté très chrétienne, roi de France un emplacement d’une demie-lieu carrée près du village d’Amokou pour y construire un fort /…/ et bâtiments que ses sujets expédient pour la traite des esclaves. /…/ 4- Quant aux Nègres que les bâtiments marchands voudront se procurer pour le service de leur traite, les chefs du pays, et les capitaines conviendront réciproquement du prix/…/ 5- Il est convenue que tous les dimanches, il sera donné par le gouverneur du fort au chef du village d’Amokou quatre galons d’eau-de-vie, huit pipes et une brasse de tabac. /…/7- Pour maintenir la bonne union entre Français et les sujets du roi d’Anamadou, Sa Majesté très chrétienne, le roi de France, ordonne aux commandants dudit fort de rendre justice aux plaintes fondées qui lui seront portées contre les délinquants français et réciproquement. »
Malgré une longue liste de rois africains complices du commerce d’esclaves, heureusement quelques rois se bornaient a protéger leur population, malgré l’insistance Européenne comme on peut lire dans ce mémoire de 1793 tiré des Archive Nationale Française, série colonie: « Il y a chez les Yollofes (Ouolofs du Sénégal) et le royaume de Cayor autant de nègres qu’il peut y avoir sur la cote d’Or et d’Angole, mais le roi des Yollofes ne vendant point de Nègres et celui de Cayor ne se déterminant à faire des pillages que quand il en a de grands besoins, il s’ensuit que ces royaumes qui pourraient se procurer une très grande quantité de Nègres au Sénégal et à Gorée, n’en procurent pas deux cents chaque année. Il est absolument essentiel à l’époque de la paix de faire porter la guerre par les Maures dans l’intérieur de ces Royaumes/…/ Si on ne voulait pas employer ces moyens que je crois cependant très surs, il resterait celui de faire quelques présents annuels au roi des Yollofes pour pénétrer chez lui, y faire naitre de ces besoins et ensuite l’engager à faire du pillage comme ses voisins; toutes ces réflexions sont un peu barbares, mais elles sont une suite de ce commerce indispensable/…/. »
Avec la fin de l’esclavage qui s’annonçait aux 19 siècles, la traite d’esclave africain tombait dans l’illégalité. Les rois noirs y voyaient une perte de revenu important. En Afrique, les esclaves noirs vendus dès lors à des mercenaires connurent de pires maltraitances; dénutrition, sévices corporels graves…
La traite des esclaves noirs africains pavera parfaitement la voie à notre époque néocolonial. Après s’être fait marchand d’hommes noirs, ridiculisant la vie des Noirs pendant quatre siècles, les mêmes puissances pilleront les ressources minières et agricoles de ces mêmes régions africaines qu’ils ont abruties, vertigineusement décerveler, et ce, avec la même invitation, la même mentalité de la traite de l’esclavage des nouveaux « rois » du continent noir.
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