Jean-Philippe Guillaume alias Ti-Kid ou encore Bazz pa Bloker, s’est surtout fait connaitre dans le milieu des années 90 avec le mythique groupe Sans Pression, un duo qui fixait de nouvelles bornes au hip-hop québécois. Après avoir vendu 50 000 albums, avoir performé en France en 1998, à la Coupe du Monde en 2002, aujourd’hui l’artiste de quarante ans qui rap en créole, partage sa vie entre Haïti et le Québec, se livre à nous, le temps d’un brunch au Parma-Café, dans le centre-ville montréalais, un joli mercredi 19 juillet 2017.
Sans Pression était la réalité de deux jeunes Noirs vivant au Québec. Après le succès « 514-50 dans mon réseau », le groupe se sépare. Kamenga (S.P.), l’autre moitié du duo, décide poursuivre sa route seul. « Moi, j’étais vu comme le mouton noir, par rapport à mon passé de rue. J’ai quand même fait beaucoup de bêtises et de conneries.» précise Ti-Kid qui célèbre son anniversaire en même temps que les Québécois à la Saint-Jean-Baptiste (fête du Québec). En insistant sur les motifs de la séparation du solide duo, Bazz pa Bloker y ajoute: «J’ai fait beaucoup d’entrevue là-dessus puis, dans le fond, je ne la connais pas la raison. Dans le fond c’est surtout S.P. qui pourrait répondre à ça, parce que c’est lui qui avait un conflit. Il voulait que sa musique soit différente, pour un autre marché. Moi je ne fittais plus dans ce que la compagnie voulait, so on m’a juste mis sur le side.»
Ce divorce musical a été une expérience difficile pour le jeune rappeur créole. Il n’ y a pas seulement perdu un ami de jeunesse, mais son meilleur ami sans compter les milliers d’heures investit dans la cohésion du groupe. Une situation qui perdure jusqu’aujourd’hui, puisque leur relation est toujours sur la glace. Une froideur peut-être alimentée par Ti-Kid lui-même qui s’est mis a en découdre avec S.P. par chansons interposées. Cette prise de bec sur la toile lui vaudra une violente altercation dans les rues avec le rappeur Row, qui y perdra un bout d’oreille selon Ti-Kid. « C’est une histoire triste, je pense que tu peux t’exprimer musicalement et la violence n’a pas sa place. Ce n’est pas un bon exemple ni pour les jeunes, ni pour la communauté, mais c’est la rue! »
Autre temps, autres moeurs. Assagie par le temps, devenue père d’une adorable petite fille, Ti-Kid n’échappe pas au cliché de l’ancien truand tempéré par les aléas de la vie. Maintenant qu’il évolue la majorité de son temps en Haïti, le rappeur se transforme en entrepreneur avec une cause sociale. Sa nouvelle mission: faire connaitre le rap créole du Québec. « Je crois qu’en tant que diaspora on a un travail à faire pour Haïti. On ne peut pas sauver Haïti, on peut sauver un Haïtien à la fois. En passant par la musique on est capable de rentrer à Port-au-Prince sans diviser, en plus de faire connaitre Haïti aux diasporas qui sont ici, qui ne connaissent rien. » précisant: « C’est beau de dire soupe joumou, 1804, Haïtiens, tu ne sais pas ou est Pétionville, ou est Delmas. En tant qu’artiste, on se doit d’apprendre aux diasporas c’est quoi Haïti, c’est quoi notre réalité, c’est quoi les enjeux. »
Pour faire vivre la première République Noire à l’intérieur et l’extérieur de l’ile antillaise, Jean-Philippe initie le mouvement identitaire Snowzoe. “Zoe” en créole, « os » en français est un terme fortement utilisé à Miami pour définir l’Haïtien. Un gang mafieux haïtien très connu y porte aussi le nom de Zoe-Pound. C’est après avoir vécu cinq années à Miami que Ti-Kid s’accable du surnom SnowZoe, probablement parce qu’il est natif du Canada. « Depuis que tu es un Haïtien, Haïtienne à Montréal, tu es Snowzoe. Ce n’est pas une gang de rue, ce n’est pas une compagnie de disque, ce n’est pas une marque de linge, c’est un OSBL (Organisme sans but lucratif). C’est une plateforme qu’on a créée pour toute la communauté. »
Basé dans la métropole québécoise, dirigé démocratiquement par cinq personnes, Snowzoe travaille en concert avec Haïti sur certains projets dont l’accès à l’eau potable et des toilettes adéquates. En 2018, pour le Mois de l’Histoire des Noirs, l’organisation promet de tenir des événements chaque semaines à Montréal et à Québec. Cette année au Québec , l’OSBL s’est présenté au public à la Carifiesta, le défilé caribéen montréalais . « C’est la première fois en 42 ans qu’il y avait du rap créole à Montréal sur Ste-Catherine! » dira fièrement Ti-Kid. De plus, une voiture fut habillée artistiquement du drapeau haïtien par l’artiste Maliciouz.
Malgré que Ti-Kid reconnait ne jamais avoir eu de conversation avec l’un d’eux, il ne comprend pas pourquoi les vedettes haïtiennes québécoises ne font pas plus pour Haïti. “Que ça soit Adonis, que ça soit Jean-Pascal, que ça soit Luck Merville, que ça soit Herby Moreau, pour moi personnellement je trouve que ces gens ont failli à leur devoir totalement. Et je mettrai là-dedans Bruny Surin aussi. » Ti-Kid, qui s’estime plus Québécois que Canadien dont il dit ignorer la culture, considère que ces stars n’arrivent même pas à soulever la communauté haïtienne de la belle province. Pourtant, le rappeur défend les actions caritatives pour Haïti de Pierre-Yves Lord. Né en Haïti puis adopté par une famille québécoise blanche, l’animateur qui a grandi dans la ville Québec a été critiqué pour sa méconnaissance du créole.
Pour revenir sur sa musique, à la grande déception de ses fans, Ti-Kid ne prévoit plus sortir d’album en magasin. « L’ère moderne n’est plus aux albums. La game a changé. » Le jeune rappeur Enima, qu’il félicite en est une parfaite incarnation.
Pris dans des projets d’agriculture (piments, mangues, cactus, chadeks, café) à Pétionville en Haïti, Ti-Kid concentre désormais son énergie sur des singles, vendu a l’unité en ligne, sur internet. Ses trois derniers vidéos ou il rappe énergiquement en créole, ont tous été tournés en Haïti, dans d’inaccessibles ghettos, gaguè (arène ou est organisé le combat de coqs) dont un avec un Québécois de Limoilou qu’il a emporté dans ses bagages.
Pour le Québec, Jean-Philippe murit un show avec un élément visuel, un « sketch léger » dans lequel sera incorporé de la musique: acapella, spoken words, poésie. Les divers décors sont en créations. Le spectacle qu’il espère présenter entres autres dans des Maisons de Jeunes, des écoles secondaires, devra faire réfléchir et pleurer. « Je veux aller chercher l’émotion des gens. » s’exclame-t-il. Ti-Kid alias Bazz pa Bloker sait se réinventer continuellement face au public. Votre vie sinon votre musique sera inévitablement plus créolisé.
Interview mené par Pascale Gabriel
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