PORT-AU-PRINCE – Un point important, c’est que la Reconstruction, si jamais elle devenait réalité, mettrait fin au plus grand mal dont souffre Haïti depuis le régime trentenaire des Duvalier (1957-1986): l’émigration massive toutes catégories confondues.
La semaine dernière, l’expert en droits humains des Nations Unies pour Haïti, Michel Forst, demandait, lors d’une conférence de presse à Port-au-Prince, aux pays qui renvoient des migrants illégaux haitiens de faire une pause, vu l’état du pays après le séisme. Aussitôt Washington renouvela que sa politique d’immigration au regard d’Haïti n’a pas changé. De peur que la déclaration de l’expert de l’ONU ne déclenche une nouvelle vague de boat-people. Environ 250 de ces derniers ont été refoulés la semaine dernière au Cap-Haïtien par la garde côtière des Etats-Unis.
Sortir du cercle vicieux …
Ce n’est pas une déclaration généreuse d’où qu’elle vienne, mais une politique de l’emploi systématique et durable qui seule peut changer ce qui constitue la plus grande honte pour notre pays: le refoulement chaque année de plusieurs milliers de nos concitoyens fuyant la misère noire sur des embarcations de fortune (boat people en direction de la Floride et des Bahamas) ou via des passeurs (paysans travaillant comme des forçats dans les plantations de canne en République dominicaine voisine).
La Reconstruction, avec un financement de près de 10 milliards de dollars américains garantis sur les trois années à venir et au-delà par les donateurs internationaux (ceci le 31 mars dernier au siège de l’ONU, à New York) et conçue pour impliquer le pays tout entier – pas seulement ce qu’on a coutume d’appeler la ‘république de Port-au-Prince’ (justement cette dernière par son égoïsme forcené étant responsable de l’abandon au fil des années de la Nation à la pauvreté généralisée et à l’ignorance), voilà aujourd’hui une occasion unique de sortir du cercle vicieux.
Encore une ‘problématique’ …
Et de mettre au travail les Haïtiens. Ici également, toutes catégories confondues.
Le plan général comprend:
. La reconstruction des bassins versants de nos vallées et plaines … et la relance de la production agricole.
. La réalisation de travaux d’infrastructures dans quatre grands pôles de développement: l’Ouest, le Sud, le Centre et le Nord-Ouest, débouchant sur des emplois industriels.
. La modernisation de l’Administration.
. Une couverture nationale en santé et éducation.
. Le passage à la modernité.
. Etc.
Un tel programme non seulement devrait fournir des emplois aux Haïtiens de l’intérieur (de toutes catégories sociales) arrêtant la migration forcée et misérable dont nous sommes devenus les pires exemples dans le continent américain, mais aussi pour nos compatriotes expatriés, dont nombre voudraient retourner mettre leurs compétences au service du pays natal.
On se demande si la plupart d’entre nous prennent le temps de dégager cet aspect lorsque nous questionnons (pour utiliser un mot à la mode) cette ‘problématique’ de la Reconstruction.
Il y a là possibilité de mettre au travail non seulement la main d’œuvre non spécialisée du pays mais également nos diplômés de l’intérieur ainsi que nos cadres expérimentés de l’extérieur qui le voudraient.
Le ‘brain drain’ …
Mais pour cela il faut au sommet de l’Etat une politique qui se donne pour objectif non seulement de créer des emplois mais aussi d’arrêter l’émigration massive. D’autre part jusqu’ici nous mettons l’accent uniquement sur les boat people et les braceros (coupeurs de canne) et point du tout sur le ‘brain drain’, l’émigration des cadres, encouragée systématiquement par certains pays ‘amis’, en tête le Canada.
Aujourd’hui on est presque dans l’impossibilité de trouver dans la capitale haïtienne un jeune technicien en informatique, tout comme un bon menuisier. Tous envolés vers des cieux plus cléments.
Cela a commencé dans les années 60 avec l’exil politique dont la dictature Duvalier a frappé des milliers de cadres, partis travailler en Afrique fraichement indépendante, puis à leur retour pour s’arrêter définitivement aux Etats-Unis et au Canada.
Mais le mouvement ne s’arrêta point. La grande misère qui frappa l’arrière-pays sous le règne du fils, Baby Doc, avec le triomphe du capitalisme sauvage (‘la révolution économique’), força le paysan à fuir à son tour. Boat people vers la Floride (naissance de Little-Haiti, à Miami) et » Esclaves au paradis » (nom d’une exposition sur la vie des coupeurs de canne haïtiens dans la République dominicaine voisine).
Le galeux d’où vient tout le mal …
Le réfugié haïtien fut catalogué réfugié économique, donc n’ayant point droit à la même réception faite au réfugié cubain. Il aura fallu le terrible tremblement de terre du 12 janvier dernier pour que l’administration américaine consente à lui accorder enfin le fameux ‘TPS’, un statut de résidence temporaire que les Etats-Unis ont renouvelé à plusieurs reprises pour des ressortissants d’autres pays de la région.
Mais l’haïtien n’en reste pas moins le pestiféré, le galeux d’où vient tout le mal. Tenez, la réponse négative des responsables américains à la suggestion de l’expert en droits humains de l’ONU, Michel Forst, et le refoulement quasi hebdomadaire de boat people au Cap-Haïtien, la plupart d’entre eux partant du nord d’Haïti (et peut-être aussi pour éviter une trop grande visibilité médiatique … aussi bien les organisateurs de ces voyages clandestins que les gardes côtes qui les refoulent à leur point de départ!).
Une voie de passage obligée …
Mais ce n’est pas le seul fait par les donateurs d’avoir promis près de 10 milliards de dollars qui puisse en soi apporter le moindre changement à ce sort de juif errant des Caraïbes qui nous est dévolu …
Seule peut y arriver une politique bien étudiée au sommet de l’Etat pour utiliser les opportunités qui se dessinent actuellement dans ce seul but (mais qui contient en lui-même la réponse à tous les autres défis qui nous interpellent).
Mais ce n’est toujours pas tout. Il faut pour opérer cette véritable révolution (car c’en est une et de taille) que les élites politiques, économiques et sociales se l’approprient également comme une voie de passage obligée pour sortir le pays à la fois de son déclin et de son épithète de ‘pays maudit’. Or ce n’est peut-être pas actuellement leur principale préoccupation. Ni forcément celle de l’international qui peut même trouver avantage à nous maintenir aussi longtemps que possible dans la seule qualité qui nous est reconnue: réservoir inépuisable de main d’œuvre à très bon marché et dont un chômage massif reste le meilleur régulateur!
Haïti en Marche
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