Les artistes sont des miroirs de nos sociétés alors, pour entamer 2017, nous avons choisi de vous présenter un des ces phares qui illuminent nos quotidiens. Maliciouz, une artiste de 27 ans, canadienne aux racines haïtiennes dépeint bien cette figure de la personnalité créatrice.
Rencontrée au Parma-Café, un bistro impeccable sur la rue Bishop qui sert les délices de la gastronomie italienne au centre-ville de Montréal, cette femme grande et élancée, Maya Dorvilier, mieux connue sous le nom de Maliciouz, est née et a grandi dans le quartier Saint-Michel. Un quartier est-montréalais, grouillant d’associations communautaires dont on a fait une esquisse en 2016 accompagné, entre autres, par le ministre québécois de l’environnement David Heurtel.
Un court voyage d’une semaine en Haïti a profondément marqué cette fille d’infirmière. Ce retour aux sources lui a permis de contextualiser et comprendre sa propre identité. Comme beaucoup de gens issus de la diaspora noire, la culture héréditaire est immanquablement perfusée par l’environnement immédiat pour donner naissance à une culture hybride, prise entre deux eaux. Peut-être est-ce là l’explication de son coup de pinceau qu’elle qualifie d’Afro-urbain.
L’oeuvre de Maliciouz est puissante, captivante, vive, sensuellement nerveuse et surtout pro-black, notion qu’elle priorise face à son féminisme assumé. Ses compositions brisent le moule des conventions établies et revendiquent leur espace. Également professionnelle du graffiti, son arme de prédilection nous confirme-t-elle, ses toiles, dont elle détient une quarantaine de créations, crient contre l’indifférence de la place faites aux Noirs et aux femmes noires en particulier.
C’est au milieu de la communauté haïtienne fortement concentrée de son arrondissement que Maliciouz, un nom qui dissimule la force de l’intelligence exacerbée, a muri. Pourtant, elle trouvera que cette homogénéité fut handicapante, vu le manque de diversité d’idées, de représentations, concepts qui sont le souffle des artistes en gestation. Cette prison intellectuelle, qu’elle se représente par son passage comme résidente du Plan Robert, un regroupement d’HLM, ne l’empêchera pas d’assouvir sa soif pour l’art, une tendance qu’elle développe depuis son tout jeune âge.
« J’ai toujours eu un fort intérêt pour les arts, mais au secondaire, quand on va en orientation de carrière, ils nous poussent toujours vers des métiers qui sont étiquetés à des gens qui ne vont pas aller loin dans la vie. » Nous raconte Maliciouz à l’égard du racisme latent auquel doit faire face les gens issus de sa communauté.
Malgré qu’à ses débuts Maliciouz ne jouissait pas de l’appui évident de ses parents pour entreprendre sa carrière d’artiste, une fois la décision prise, c’est avec fierté que sa famille se rangea derrière elle. Son frère, nous dira-t-elle, lui est une grande motivation et inspiration. « Il prenait soin de moi pour que ma mère soit plus de mon bord quand je voulais aller vers mon art. Changer la mentalité de mes parents, ce n’est pas évident. » Autodidacte talentueuse, puis étudiante en art au cégep Marie-Victorin, c’est maintenant sans concession qu’elle exprime sont art, soleil de son activité.
Un long parcours a été parcouru par l’artiste afro-canadienne depuis ses premières expositions à la Galerie 203, à l’espace Mushagalusha puis au Musée des Beaux-Arts pour ne citer que ceux-ci. En réponse à la question où va son art, Maliciouz nous répond, thé noir à la main: « J’aimerais beaucoup que mon art soit reconnu par les institutions, qu’il soit inscrit dans le patrimoine culturel québécois, pas juste on the side. Pour moi c’est important. » Un souhait confronté à la réalité des « valeurs » québécoises ou très peu de Noirs, on pourrait même avancer qu’aucun artiste Noir avec des racines et des fruits exclusivement noirs, ne traverse le tamis de l’acceptation collective québécoise. Poursuivant sur ce sujet : « J’ai l’impression que le Québec, dans le but de former sa propre identité, ne laisse plus de place pour une vraie ouverture. » et continue : « On est vraiment en retard sur le reste du monde. »
Tout ceci n’empêche pas Maliciouz, qui tutoie les 6 pieds, de trouver sa place. Elle ne s’en laisse pas imposer. Son oeuvre préférée en est un témoignage : Mama’s gun, qui tire son titre d’une chanson d’Eryka Badu. Cette murale effectuée sur une porte de garage sur la rue Van Horne, où l’on peut apercevoir une femme noire allaitant sa descendance armée d’un fusil, représente pour l’artiste l’énergie que doit avoir le migrant face à son nouvel environnement.
Malgré tout, les pièces de Maliciouz trouvent preneur dans plusieurs couches de la société, du vieux retraité blanc aux jeunes professionnels noirs. Se monnayant à plusieurs centaines de dollars, ses toiles ne sont peut-être pas à la portée de tous, par contre les objets imprégnés de ses dessins qu’elle propose dans sa boutique en ligne en facilitent l’accessibilité.
Vous pourrez agréablement zyeuter l’excellence de Maliciouz dans le cadre d’une exposition pour le Mois de l’Histoire des Noirs 2017 à l’Hôtel de Ville, une activité qui entre aussi dans la programmation de la commémoration du 375e de la Ville de Montréal. Maliciouz sera également à bord de l’exposition VISUAL17E , le 17 février 2017 qui célèbrera les talents Noirs à Ottawa pour le 150e du Canada et puis au mois de mai 2017 à l’Université Concordia une exhibition qui aura pour thème Femmes Noires, Pouvoir et Représentation au centre-ville montréalais.
Attendez à plus de Maliciouz dans votre vie puisque qu’en plus d’élaborer une ligne de vêtements qui aura pour nom Asoto Array, l’artiste, pour cette fois-ci, prendra son crayon pour nous écrire un essai sur les diverses facettes de son art, un livre qu’elle terminera très bientôt, nous informe-t-elle.
Interview par Nadia Michelot,
un grand merci au Parma-Café pour l’accueil chaleureuse.
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