En novembre de chaque année, et les semaines autour du 6 décembre pour la célébration de la Saint Nicolas (la fête de Noël version hollandaise et belge), le débat renaît. Les défenseurs avec la même rengaine : Saint Nicolas c’est une tradition ; c’est une joyeuse fête pour les enfants… Des reportages vidéo sont faits de cette « fête » que l’on retrouve facilement sur le net . Or, il faut se dire que cette fête n’est malheureusement pas joyeuse pour tous les enfants…
Il faut rappeler les qualifications racistes de l’évènement par des autorités indépendantes et par la justice hollandaise. Après le débat lancé vers les années 1993, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a reconnu dans son rapport publié en août 2015 que « Le personnage de Black Pete est parfois représenté d’une manière qui reflète les stéréotypes négatifs des personnes d’ascendance africaine et est vécue par beaucoup de personnes d’ascendance africaine comme un vestige de l’esclavage. » ; ce Comité exhorte les Pays-Bas à « promouvoir activement l’élimination » de stéréotypes raciaux.…. la justice hollandaise a emboîté le pas en reconnaissant le « caractère raciste » de Black Pete :
La cour reconnaît que « … que l’apparence de Black Pete, en combinaison avec le fait qu’il est souvent dépeint comme stupide et servile, en fait un« stéréotype négatif des Noirs »..
Comme se sentant visée, les réactions des journalistes en Belgique ont été rapides et méprisantes : La plupart des quotidiens ont amplement réagi. “L’ONU n’a-t-elle pas d’autres chats à fouetter que le Père Fouettard ?” (Editorial du quotidien Le Soir du 19 octobre 2013). Et d’ailleurs, “Qui est cette experte jamaïcaine des Nations unies?” se demande, un peu dédaigneux, Het Nieuwsblad dans un encadré qui résume le profil de Verene Shepherd.
Les internautes ne sont pas en reste : créée le 22 octobre 2013, la page facebook « contre la suppression de la Saint-Nicolas » a atteint 1,5 million de “likes” en un temps record, ce qui en fait la page Facebook à la croissance la plus rapide jamais enregistrée, affirme De Morgen du 23 octobre 2013. Elle compte aujourd’hui, 1.789.060 likes.
Suivra une surprenante position du Centre belge pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme . En décembre 2014 : la réponse est que dans la figure de Saint-Nicolas et du Père Fouettard, il ne peut être question d’une forme punissable de racisme ou d’une forme légalement prohibée de discrimination raciale. Les dispositions pénales contenues dans les articles 20 et 21 de la loi contre le racisme du 30 juillet 1981 exigent en effet une « intention spécifique (appelée dol spécial) », et ce n’est ici pas le cas, ce serait le cas lorsqu’une représentation concrète de Saint-Nicolas et du Père Fouettard était associée à des propos ou à des actes punissables racistes.
Les opposants à Black Piet ne condamnent pas la tradition, ils veulent la voir s’adapter à son temps, à la démographie, et être dépouillée de stéréotypes et préjugés raciaux qui ont un impact négatif sur une partie de la population. Posture d’ouverture certes de ces derniers, mais qui ne doit pas oublier les origines racistes du « Blackface » qui est perpétuée à travers ces traditions.
Origines racistes du Black Face :
Le « Blackface » ou se « grimer » est le fait pour un Blanc de « se peindre le visage en noir dans le cadre d’un déguisement ».
Les personnages noirs caricaturaux existent en France dès le XVIIIe siècle, ce que rappelle les spécialistes comme Pap Ndiaye, historien spécialiste de l’Amérique du Nord ,. La pratique de « Black Face » est populaire aux États-Unis au XIXe siècle : consistait à se « grimer », se peindre le visage (ou à se déguiser en Noir ) et à tourner en ridicule les personnes noires, le plus souvent dans le cadre des « minstrel shows Comedy », «… spectacles (qui) visaient à donner la race en spectacle et s’adressaient d’ailleurs aux Blancs. Il s’agissait de faire rire aux dépens des Noirs », précise Eric Fassin, professeur de sociologie .
C’est durant ces spectacles que sont véhiculés représenter « toutes les tares définies par le regard des blancs sur les esclaves noirs: paresseux, insouciants, stupides et indolents », selon Sylvie Chalaye, anthropologue des représentations coloniales (…) ; véhiculant ainsi la plupart des faux préjugés sur les Noirs et qui ont la peau dure jusqu’à aujourd’hui. Le caractère raciste de ces déguisements est reconnu par les spécialistes comme Pap Ndiaye , pour qui, « Le blackface s’est prolongé dans les premières décennies du XXe siècle au cinéma: les acteurs noirs étant absents, les personnages noirs étaient joués par des acteurs blancs grimés. Soit pour les caricaturer de manière ouvertement raciste, c’est le cas dans The Birth of a nation, soit de manière plus subtile comme dans le Chanteur de Jazz, le premier film parlant. » (…) « Ces caricatures racistes ont pu prospérer pendant longtemps et de manière absolument évidente dans l’espace public français, au cinéma ou dans le spectacle».
Dans les années 30 en France, avec Michel Leeb dans la pièce de théâtre «Ténor» en 1988, plus récemment dans des émissions TV ou de radio en France . Mais, on les retrouve également dans les carnavals, comme celui du Groupe des « Noirs » de Dunkerque (Nord de la France) ; carnaval (dont il faut rappeler), qu’il « est violent dans la réduction de l’autre, car il joue justement sur la caricature et le défoulement », précise Sylvie Chalaye . Et c’est sur cette base que certains, en France ou en Belgique, semblent vouloir ne pas en reconnaître leur caractère raciste comme aux É.-U. : « La logique même du blackface consiste à faire de la domination raciale un jeu —alors que les Noirs en font l’expérience brutale », conclut Eric Fassin.
Les étudiants de l’Université de Lille (France) où de l’Université de Saint-Louis ou de l’Université catholique de Louvain (Belgique), ne peuvent invoquer leur ignorance du caractère raciste du Blackface. La coïncidence de leurs évènements se tient à quelques semaines de la célébration de la Saint-Nicolas (6 décembre), ne laisse aucun doute sur leurs intentions de « rire » du Noir.
Ne soyons pas dupes, les défenseurs de la célébration de la Saint-Nicolas en Belgique savent l’intérêt économique que génère cet évènement, de même que les enjeux cachés de mépris et de domination qu’elle véhicule, à l’égard des personnes d’ascendance africaine (noire).
Enjeu économique :
Nous savons que la Saint Nicolas est une opération commerciale qui rapporte beaucoup d’argent. C’est aussi l’occasion pour de nombreuses personnes de se faire un petit job bien rémunéré.
En effet selon RTL-Info du 5 décembre 2016, lors des fêtes de Saint-Nicolas et de Noël, l’industrie du jouet réalise en Belgique 47% de son chiffre d’affaires de l’année, soit environ 250 millions d’euros. 504 millions ont été dépensés en tout l’an dernier par les Belges, avec une moyenne de dépense par Belge de 250 à 350 euros à l’achat de jouets par enfant .
Par ailleurs, nous apprenons qu’il faut 100 EUR pour faire venir le personnage de la Saint Nicolas à domicile, et qu’une société débourse jusqu’à 700 EUR pour la même prestation. Recrutés par la voie des agences d’intérims, les Saints Nicolas et Petre Fouettards sont payés entre 10 et 11,40 euros de l’heure pour distribuer les bonbons et gérer les cadeaux offerts. Comme les entreprises font appel à ces deux personnages durant 4 heures, elles déboursent plus de 700 EUR, en raison de 120 euros pour une heure de prestation pour Saint-Nicolas lorsque l’invitation émane d‘ organisateurs de grands évènements et d’associations. Si on veut lui adjoindre le Père Fouettard, il faut ajouter 60 EUR. Même à ce niveau de prestations, il y a déjà une discrimination… Cette discrimination se retrouve même lorsque des firmes privées commanditent des prestations dans les établissements scolaires, une heure de prestation de Saint Nicolas revient à 80 euros alors que Père Fouettard coûte 60 euros. Saint Nicolas bénéficie d’un bonus de 0,35 euro en moyenne par kilomètre parcouru pour se rendre au lieu de la prestation.
Black Pete, Père Fouettard : des stéréotypes stigmatisants et traumatisants pour les enfants noirs
Une chose est sûre et tous les reportages et les enquêtes sérieusement conduites reconnaissent que Saint-Nicolas est loin d’être une joyeuse fête pour tous les enfants. Car, aujourd’hui encore, beaucoup d’enfants noirs sont moqués et traumatisés par ces fêtes à cause du caractère raciste que représente Père Fouettard.
En effet, l’accent particulier de Black Pete ou Père Fouettard, son second rôle, celui de servant, l’accoutrement, les lèvres lippues, retranscrivent les stéréotypes universellement ressassés sur les Noirs.
Il faut rappeler l’histoire autour de cet évènement. Pour des historiens de l’art Elmer Kolfin, Black Pete renvoie clairement aux images d’enfants noirs esclaves qui ont été utilisés par des familles riches européennes à la fin du 17e siècle, et que l’on voit sur des images et tableaux de peintres de l’époque . Black Pete n’est pas aussi vieux que l’histoire de Saint Nicolas qui s’appuie sur une tradition qui remonte à l’époque préchrétienne. La figure de Black Pete n’a été introduite qu’au milieu du XIXe siècle, pendant la période coloniale hollandaise. En réalité, Black Pete n’a donc que 150 ans, ce qui signifie que seules six générations d’enfants ont grandi et l’ont connu.
Des traditions belges teintées de racisme et de négrophobie ?
Il est important d’analyser la question soulevée avec les autres traditions belges qui posent problème : la Ducasse d’Ath ou les Noirauds.
Lors de Ducasse d’Ath, toujours en Belgique, célébrée le 4e week-end d’août, le Magnon, le « diable cornu », du service d’ordre du couple Goliath, qui, muni de sa vessie de porc est grimé de cirage noir, est connu pour faire peur aux bébés. Comme un autre personnage de la tradition athoise, le Sauvage de la Barque des Pêcheurs Napolitains, qui ne sort que le dimanche, et est également grimé de cirage noir.
Chaque 2e week-end de mars, les Noirauds sillonnent le centre de la Ville de Bruxelles en visage grimé de cirage noir, arborant des accoutrements attribués à d’anciens rois d’Afrique, soi-disant pour collecter des fonds pour l’enfance déshéritée. Voilà 133 ans que cela dure. Le Ministre des affaires étrangères belge Didier Reynders s’est prêté à ce jeu le 14 mars 2015… Sans que des voix ne se lèvent en Belgique pour réprouver l’acte. Il aura fallu un article d’un journaliste français de France 2 pour soulever le problème. Le ministre se défendra : « C’est juste un héritage culturel du passé » … et à la question du journaliste « Est-ce qu’il faut se déguiser en « nègre » parce que c’est de ça dont il s’agit », il poursuit « Alors les Blancs-moussis à Stavelot, c’est du racisme anti-blanc, les bonobos qui font de la danse et qui se griment en blanc, c’est du racisme anti-blanc, c’est cela qu’on veut dire ? Mais non pas du tout, c’est juste un héritage culturel du passé. Et ce côté qu’il faut être bien-pensant et ne plus heurter aucune majorité ou minorité.« . Le site web du ministre continue de s’enorgueillir de cette prouesse d’un racisme décomplexé!
Et il faut ajouter que, depuis 1959, en l’honneur des Noirauds, chaque 2e week-end de mars, le célèbre petite bonhomme Mannenken-Pis lui-même est vêtu de leur costume : haut de forme blanc, habit noir, pantalons bouffants de couleur vive, chaînes et breloques clinquantes.
Au final, on a beau pérorer, ne pas voir le problème, justifier les folklores aux relents racistes, ils restent les tristes reliquats d’une époque où le « Noir » était objet de mépris et de moquerie, héritage le plus détestable de l’époque coloniale. C’est ce qu’écrit l’éminent spécialiste du folklore belge, J.-P. Ducastelle, pour qui, « l’exhibition de ce personnage témoigne tout à la fois du mépris pour les peuples extraeuropéens et de la croyance en la supériorité de l’Occident ».
Il est évidemment significatif que le « diable», incarnation du mal, soit représenté comme un « Noir » dans notre tradition occidentale… Et Pap Ndiaye de poursuivre, le rapport avec la colonisation et l’esclavagisme est évident: « Les caricatures violentes de ce genre ont une histoire qui est liée à des situations de dominations anciennes et à des situations contemporaines de discriminations. Bien entendu, c’est un héritage de l’histoire de la colonisation et de la mise en place du système esclavagiste: lorsque la race noire a été inventée en tant que notion, à partir du XVIIe siècle avec la mise en place du grand commerce transatlantique. C’est à partir de ce moment là que la notion de race noire émerge avec ses caractéristiques physiques, intellectuelles et morales. »
On ne peut que se féliciter de l’évolution de la position d’UNIA (ancien Centre belge pour l’égalité des chances) qui, le 14 novembre 2016, plaide pour que la discussion autour de la fête de Saint-Nicolas puisse servir de base pour un débat de société constructif ; et lance un appel afin en tout cas que la figure du Père Fouettard soit représentée autrement que comme un homme noir bête, inférieur ou dangereux – caractéristiques par lesquelles les stéréotypes volontaires ou pas sur les personnes noires se perpétuent. On évolue. Ce « Saint-Nicolas dans les écoles », vidéo postée sur ne net le 5 déc. 2014 préfigure-t-il les prochaines évolutions de la célébration de la Saint-Nicolas sans le Père Fouettard grimé en noir ?
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