Les évènements du 17 octobre 1961 désignent la répression sanglante ayant frappé une manifestation organisée par la Fédération de France du F.L.N. en faveur de l’indépendance de l’Algérie à Paris. Des dizaines à des centaines d’Algériens, selon les sources, sont morts lors de la confrontation avec les forces de l’ordre alors dirigées par le préfet de police Maurice Papon. Les manifestants internés dans des centres de détention pendant quatre jours y auraient subi des violences.
La communauté algérienne en France connait une forte expansion : 211 000 personnes en 1954 et 350 000 en 1962. Une grande partie de cette communauté, 150 000 personnes, dont 8 000 femmes et 29 000 enfants en 1961, est concentrée dans le département de la Seine. Les travailleurs algériens, souvent manœuvres, parfois ouvriers qualifiés, vivent souvent dans des bidonvilles. Créé par des anciens de l’Organisation spéciale, bras armé du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), un mouvement nationaliste dirigé par Messali Hadj qui réclamait dès 1927 l’indépendance de l’Algérie, le FLN qui se distingue par une stratégie insurrectionnelle.
L’imposition prélevée sur la communauté algérienne en France représente près de 80 % des ressources du FLN, le restant provenant des aides de la Ligue arabe. L’emprise du FLN sur la communauté algérienne en France s’étend à certains domaines de la vie quotidienne. Par exemple, il prescrit le respect de la loi coranique et interdit la consommation d’alcool. Le recours aux tribunaux français est également prohibé. Les contrevenants peuvent être purement et simplement éliminés.
Le FLN peut ainsi compter sur environ 450 hommes en région parisienne pour former ses groupes de choc en marge desquels il faut rajouter 8 katibas (compagnies) de 31 hommes chacune, constituant l’ « Organisation spéciale », organisation de combat formée de tireurs confirmés et de techniciens des explosifs, chargée des missions difficiles et de l’élimination des « traîtres ».
C’est à cet appareil militaire du FLN que la préfecture de police de Paris dirigée par Maurice Papon à partir de 1958, doit faire face. Le 30 novembre 1959, le premier ministre Michel Debré décide de constituer une Force de police auxiliaire (FPA) qui sera commandée par le capitaine Raymond Montaner. L’objectif des FPA est de disloquer l’organisation du FLN. Ils parviennent à rallier les Algériens menacés de mort par le FLN et à recruter des indicateurs parmi les commerçants.
L’efficacité de la FPA, a eu pour contrepartie l’emploi de moyens illégaux et moralement condamnables comme les arrestations et détentions arbitraires et la pratique systématique de la torture. Ces méthodes sont dénoncées dans la presse de gauche. L’efficacité des FPA conduit rapidement le FLN à déclencher avec eux une guerre sans merci. Le poste de la Goutte d’Or est attaqué par deux groupes armés le jour même de son installation, le 20 novembre 1960, puis le 4 décembre. En avril 1961, les méthodes de la police et plus particulièrement des FPA en marge de la légalité sont à l’origine d’un différent opposant le garde des sceaux Edmond Michelet à Maurice Papon. Michel Debré donne raison à Papon et confirme que les Algériens peuvent être internés 15 jours avant que le procureur n’en soit informé.
Les attentats dont sont victimes les policiers engendrent chez eux une véritable psychose. Il apparaît que le corps des policiers, excédé par les attentats, est prêt à se faire justice lui-même. Dans le bimensuel du syndicat de la police parisienne, syndicat le plus représentatif des policiers, l’un de ses dirigeants, Paul Rousseau, se croit obligé d’écrire pour raisonner ses troupes : « Camarades du SGP, ne vous laissez pas aller à des actes qui ne sont pas en accord avec votre manière de penser; groupez-vous autour de vos cadres syndicaux, agissez comme des hommes représentant la justice, et non comme des justiciers ». L’ensemble de la communauté policière se sent concernée et les obsèques de chacune des victimes se déroulent en grande pompe dans la cour de la préfecture de police, en présence des plus hautes autorités. Le 3 octobre, aux obsèques du brigadier Demoën, Maurice Papon déclare dans son allocution : « Pour un coup donné, nous en porterons dix ».
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L’exaspération des fonctionnaires de police s’exprime en effet au cours des semaines qui précèdent le 17 octobre, par une pratique de sévices de plus en plus généralisée. À l’occasion des divers contrôles d’identité et formalités administratives auxquelles devaient se soumettre les FMA (Français musulmans d’Algérie) comme on appelle alors les Algériens, le passage à tabac devient de plus en plus fréquent.
Au-delà des sévices ordinaires, certains policiers se laissent aller à des violences beaucoup plus graves. Malheur au suspect appréhendé après un attentat ! Le 4 octobre, au cours de la réunion hebdomadaire du SCINA (Service de coordination des informations nord-africaines), son président demande si la recrudescence des découvertes de cadavres de FMA dans la Seine ne pourrait pas être consécutive à des représailles policières. Les statistiques des homicides commis sur des Nord-Africains dégagent en effet une tendance particulièrement nette.
Le 5 octobre, le préfet de police Papon diffuse un communiqué de presse qui institue un couvre-feu pour les Nord-Africains. « Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20h30 et 5h30 du matin. ». Le couvre-feu est violemment critiqué pas seulement par les forces de gauche comme le parti communiste et la CGT, mais également par le MRP, et même par le commissaire Dides, ancien député poujadiste qui présente la mesure comme « une manifestation de racisme contraire à nos traditions ». Selon la constitution de 1958, les Algériens étaient des citoyens à part entière et ils ne devaient donc pas être l’objet de mesures discriminatoires.
Tout de suite après l’établissement du couvre-feu, le responsable parisien Zouaoui envoie au comité fédéral un rapport : il y mentionne le couvre-feu et la dureté de la répression engagée par Papon. Il préconise des actions nocturnes rassemblant hommes, femmes et enfants. Le mot d’ordre d’une manifestation est donné aux militants qui ne doivent le communiquer à la base que dans la journée même du 17 octobre pour que la police soit au courant le plus tard possible. Tous les Algériens, hommes, femmes et enfants doivent participer à la manifestation. Le port d’armes est absolument interdit.
Les différents historiens ayant travaillé sur cette journée du 17 octobre, Jean-Luc Einaudi, Jean-Paul Brunet et les britanniques Jim House et Neil MacMaster font ressortir que la répression policière de la manifestation sera d’une violence extrême, causant des dizaines de morts parmi les manifestants algériens. Le 17 octobre, il pleut en fin d’après-midi. Entre 20 000 et 30 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, vêtus de l’habit du dimanche pour témoigner de leur volonté de dignité, commencent à se diriger vers les points de regroupements.
Une colonne de 10 000 personnes en provenance des bidonvilles de la banlieue oust. Lorsque des milliers de manifestants sont au contact des policiers, ceux-ci doivent faire usage de leurs bâtons en bois dur de 85 cm de long. Une cinquantaine de manifestants arrivent quand même à passer. Des coups de feu sont tirés. Que les policiers aient tiré et qu’ils se soient livrés à des actes d’une violence extrême n’est pas contesté. Qu’il y ait eu des morts dans ce secteur, que durant toute la nuit des hommes aient pu être jetés dans la Seine depuis les ponts de Neuilly, d’Argenteuil ou d’Asnières ne l’est pas non plus. Les incidents du secteur des Grands Boulevards sont particulièrement violents et sanglants. L’état de la voie publique sera comparable à celui du Pont de Neuilly : débris de verre, chaussures perdues, flaques de sang, nombreux blessés gisant sur le trottoir.
Nombreux avaient été les journalistes à couvrir la manifestation du 17, mais la censure de la presse en vigueur pendant la guerre incitant à la prudence, c’est ce point de vue officiel que reflète la presse quotidienne le 18 au matin, mais dès le 19, les journaux publient une version plus détaillée des évènements. De nombreux journalistes se rendent dans les bidonvilles de la banlieue parisienne et y découvrent les signes de la violence policière qui a sévi non seulement le 17 octobre, mais aussi la période précédente.
Si L’Humanité et Libération réfuteront nettement le bilan gouvernemental, même Le Figaro publie des articles sur les exactions commises par la police, évoquant par exemple des « scènes de violence à froid » dans les centres d’internement. Le Monde rendra également compte de ces conditions de détention exécrables et de l’invraisemblance des annonces officielles faisant état de seulement deux mort.
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