L’avocat de Jean Claude Duvalier, Me Reynold Georges, n’a qu’un mot à la bouche à chaque fois que l’ex-dictateur est convoqué au cabinet d’instruction. ‘C’est de la persécution contre mon client. Pourquoi ne fait-on rien pour retrouver l’assassin de Jean Dominique ?‘
Jean Dominique est l’un des plus célèbres journalistes haïtiens et pour certains le plus célèbre. Propriétaire et directeur général de Radio Haïti Inter, il a été assassiné par un inconnu le 3 avril 2000 alors qu’il franchissait la porte de la station pour aller présenter le journal du matin.
Depuis, l’assassin court toujours.
Il n’est pas question de donner le moindre crédit à l’avocat d’un dirigeant sous le gouvernement duquel plusieurs milliers de compatriotes ont été arrêtés arbitrairement, tués aussitôt ou laissés à mourir en prison à petit feu (comme nos confrères Ezéchiel Abélard et Auguste Thénor – la presse a payé un lourd tribut sous cette dictature), ou exécutés sommairement comme Gasner Raymond et Richard Brisson, ou envoyés en exil mourir d’une autre façon comme les victimes du crackdown contre la presse indépendante le 28 novembre 1980. Etc.
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Pour avoir recours à de tels artifices (ou plutôt arguties, comme on dit dans le prétoire), c’est ou Me Reynold Georges est nul, ou il n’a aucun argument spécifique pour assurer la défense de son client le jour où celui-ci devra comparaitre devant un tribunal sérieux. Ce qui le menace à grands pas, vu le nombre de cas semblables qui défilent dans l’actualité (les dirigeants des ex-dictatures militaires au Chili et en Argentine; l’arrestation du chef paramilitaire serbe Ratko Mladic; même menace pesant sur les dirigeants arabes dont les têtes sont en train de rouler en ce moment, etc).
Deal secret …
Quoi qu’il en soit, on ne saurait passer l’éponge sur l’assassinat de Jean Dominique comme une sorte de deal secret pour obtenir le jugement de Jean Claude Duvalier. Ce serait la meilleure formule pour n’arriver à rien ni d’un côté, ni de l’autre.
La justice ne se marchande pas. Pas de compromission. Il y a l’affaire Jean Dominique d’un côté. Et il y a de l’autre le dossier des crimes contre l’humanité pour lesquels beaucoup, aussi bien en Haïti qu’à l’extérieur, pensent que Jean Claude Duvalier doit rendre des comptes.
Les avocats de l’ex-dictateur, probablement à bout d’arguments, tentent de montrer qu’il n’y a pas de véritable justice en Haïti, que c’est deux poids et deux mesures, et que leur client est victime plutôt de diabolisation.
Tout ce que dit là Me Reynold Georges ne peut protéger son client si le dossier de Jean Claude Duvalier est porté devant une juridiction internationale comme cela menace de lui arriver …
La justice n’a pas fait un pas …
Par contre, Haïti en effet ne mériterait pas vraiment qu’on lui rende justice si elle-même elle s’en fiche. La justice est un tout. Elle ne peut pas se subdiviser en petits morceaux plus ou moins inégaux, qu’on peut ignorer ou négliger ici, et activer là. La même justice qui doit poursuivre Jean Claude Duvalier pour ses crimes doit continuer aussi de rechercher le ou les meurtriers de Jean Dominique.
Car ironiquement que ce soit sous la dictature Duvalier, ou en régime démocratiquement élu comme sous les présidents Aristide et Préval, il existe un commun dénominateur. La justice n’a pas fait un pas, n’a pas progressé d’un iota. C’est le problème numéro 1 d’Haïti.
La seule différence (et tenez vous bien), c’est que le dictateur a la responsabilité de tout ce qui arrive, que lui doit toujours assumer (tant pis pour ceux qui aspireraient encore à la dictature!) … tandis que en régime soi-disant démocratique, personne n’est responsable. Ceci est très grave. Non?
Nous insistons: soi-disant démocratique parce que justement c’est la justice qui fait la différence entre régime autoritaire et régime démocratique, la justice qui doit être une pour tous (regardez par exemple comment les tribunaux américains traitent l’affaire du patron du FMI accusé de tentative de viol sur une femme de chambre). Donc notre démocratie n’est encore que de façade.
Aucun effort sérieux …
Qui plus est, Jean Dominique a été assassiné sous un pouvoir qui avait son support actif, celui du président René Préval. Ce n’est pas ce qui choque, au contraire c’est dans ces moments-là qu’on peut être le plus vulnérable puisque aux ennemis traditionnels viennent s’ajouter les jaloux. Ce qui est révoltant c’est qu’aucun effort sérieux n’a été fait pour lui rendre justice.
Aristide succède à Préval pour un 2e mandat (en 2001). Rien. Le dossier devient un prétexte à la lutte des clans opposés au sein du même pouvoir. Mais aussi à l’opposition anti-Aristide. Mais une fois cette opposition victorieuse (Aristide est renvoyé en exil en février 2044), l’affaire Jean Dominique est oubliée.
En tout cas, deux et même trois pouvoirs Lavalas ou ex-Lavalas (puisque Préval est réélu en 2006) n’ont rien fait véritablement pour rendre justice à l’un des militants les plus farouches de ce mouvement.
‘Dèyè mòn, gen lôt mòn’ …
On peut donc dire que Jean Dominique a été tué plusieurs fois, à chaque fois que ceux qui avaient pouvoir de découvrir ses meurtriers n’ont fait aucun effort pour y arriver. Soit par absence de motivation, soit par crainte de déboucher sur l’inconnue, qui sait, comme dit le créole: ‘dèyè mòn, gen lôt mòn.’
Comment encore l’expliquer, sinon que en Haïti la justice est le cadet des soucis de nos dirigeants. En ce sens qu’ils ne l’estiment pas suffisamment important pour s’exposer eux-mêmes (malgré leur serment sur la Constitution) ni pour exposer leur pouvoir, ses pompes et ses oeuvres.
Le droit à la vie …
La justice est une arme certes contre les dictatures et les dictateurs. Du fait que ces derniers font un usage immodéré du crime politique, que pour eux tuer est la seule forme de politique qu’ils connaissent … Mais à part ça, ce n’est pas vraiment la justice qui est la motivation des gouvernants. D’où difficultés à le faire entendre à un nouveau pouvoir qui ne manifeste aucune disposition naturelle à cela! Mais c’est justement ce que tentent de nous expliquer certaines institutions et organisations internationales intéressées à la question. D’abord que c’est la justice, une justice équitable mais sans peur et sans reproche, la vraie marque du changement. Le premier véritable changement que le pays attend.
Ensuite, il faut toujours commencer quelque part. Or en Haïti quel est le principal symbole, l’image emblématique du régime des abus et violations de tous les droits du citoyen, y compris le droit à la vie, que l’ex-dictateur et fils de dictateur Jean Claude Duvalier.
Il ne s’agit pas tant de faire purger à ce dernier des années de prison, voire de le condamner aux mêmes peines que les victimes de son régime (la Constitution haïtienne interdit la peine de mort), mais il s’agit avant tout de profiter d’un tel procès pour démonter le système infernal haïtien. Il s’agit d’un exorcisme. Délivrer l’esprit de toute une nation des chaines qui l’emprisonnent. Depuis l’esclavage de la colonie de Saint Domingue qui lui a appris la haine et le ‘kraze zo’ comme seule forme de survie.
Haïti en Marche
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