Le 19 octobre dernier, Justin Trudeau devenait le deuxième plus jeune Premier ministre de l’histoire du Canada, grâce à une remontée inattendue du Parti libéral à l’issue d’une essouflante campagne électorale de 78 jours. Or, ce mercredi, l’ex-enseignant âgé de 43 ans a encore défié les plus sceptiques en présentant un cabinet ministériel paritaire et diversifié.
Au total, 15 femmes et 15 hommes issus de divers horizons – dont plusieurs néophytes en politique – ont été assermentés au sein du nouveau conseil des ministres. Parmi ceux-ci : Harjit Singh Sajjan. Maryam Monsef. Jody Wilson-Raybould.
Trois communautés culturelles. Trois parcours hors des sentiers battus.
Le premier prend les rênes du ministère de la Défense nationale. Cumulant les plus hautes distinctions au cours de sa carrière, M. Sajjan fut le premier Sikh à diriger un régiment de l’armée canadienne.
Mme Monsef a quant à elle foulé le sol canadien en 1996. Aujourd’hui âgée de 30 ans, cette réfugiée afghane de confession musulmane est à la tête du ministère des Institutions démocratiques.
Finalement, Jody Wilson-Raybould est devenue la première Autochtone à accéder au prestigieux poste de ministre de la Justice.Cette ancienne procureure de la Couronne en Colombie-Britannique et ancienne chef régionale de l’Assemblée des Premières nations devra notamment piloter la commission d’enquête nationale sur la disparition et les meurtres de quelque 1200 femmes autochtones depuis 1980. Son arrivée en politique coïncide également avec une crise qui secoue actuellement la Ville de Val-d’Or à la suite des révélations troublantes de l’émission «Enquête» par la société d’État Radio-Canada. Huit policiers de la Sûreté du Québec – sur une soixantaine – sont soupçonnés d’avoir commis des agressions sexuelles sur des femmes autochtones.
Notons également que deux ministres vivent avec un handicap, une première au sein du gouvernement fédéral. Carla Qualtrough (ministère des Sports et des Personnes handicapées) est une athlète paralympique née avec une déficience visuelle. Kent Hehr, ministre des Anciens combattants et ministre associé de la Défense, est quant à lui quadraplégique. Il se déplace en chaise roulante après avoir été atteint d’une balle perdue lors d’une fusillade survenue en 1991.
La diversité : plus qu’un simple concept
Promettant une nouvelle ère à la suite du règne de près d’une décennie de son prédécesseur Stephen Harper, Justin Trudeau incarne une nouvelle génération de leaders déterminés à combattre le statu quo.
Il prouve que mettre la diversité de l’avant est une DÉCISION. Force est de constater qu’une organisation – qu’elle soit privée, gouvernementale ou paragouvernementale – qui ne reflète pas cette diversité fait tout simplement preuve d’une absence totale (ou masquée) d’atteindre cet objectif. Car atteindre des objectifs trimestriels, annuels ou sur un plus long échéancier fait partie intégrante des fonctions des hauts dirigeants.
Alors comment expliquer ce constat d’échec qui persiste depuis au moins 20 ans au sein de plusieurs organisations québécoises, de l’industrie culturelle et même médiatique? Notamment par la culture d’entreprise, son ADN. Les discours et débats continueront donc d’être nuls et sans effet si ces dirigeants ne prennent pas de «risques», selon leurs propres dires.
Trudeau a décidé de prendre un grand risque. Tous les yeux sont désormais rivés sur ce nouveau cabinet dont les portefeuilles ont été confiés à plusieurs hommes et femmes qui ne possèdent aucune expérience politique.
Reste à voir si cette Trudeaumanie saura inspirer nos dirigeants afin que le changement, dont on parle depuis trop longtemps, fasse concrètement partie de leur agenda. Reste à savoir également si les membres issus des communautés culturelles poursuivront leur lutte en s’impliquant activement, en faisant partie intégrante de la solution, en frappant avec acharnement aux portes qui leur sont encore fermées afin de créer les opportunités qui feront d’eux des leaders aptes, à leur tour, à déplacer les pions sur l’échiquier culturel, social et politique.
Des membres de la communauté haïtienne déçus
C’est d’ailleurs le message que souhaite véhiculer une militante libérale après avoir pris connaissance de la déception de nombreux internautes face à l’absence de Noirs au sein de l’équipe ministérielle du nouveau premier ministre canadien. Emmanuel Dubourg, député d’origine haïtienne dans la circonscription montréalaise de Bourassa, était d’ailleurs pressenti par plusieurs à un poste au cabinet des ministres.
«M. Dubourg est un pionnier en politique. Il fait avancer la communauté (haïtienne), mais d’autres (membres de la communauté) doivent s’impliquer à prendre le relais», plaide celle qui fait de l’éducation citoyenne son cheval de bataille.
- « Participer, participer et encore participer. Contribuer bénévolement, financièrement et collectivement… Se serrer les coudes et avoir de la gratitude pour ce que nous réalisons», ajoute-t-elle, saluant du même souffle la composition du cabinet Trudeau.
- Les attentes de la communauté haïtienne à l’égard d’Emmanuel Dubourg pèsent lourdement sur les épaules de ce comptable agréé émérite qui a mené une campagne électorale dynamique et exemplaire. Il est aimé et respecté de ses concitoyens de tous horizons, ce qui explique notamment la stimulante carrière qu’il a menée sur la scène provinciale avant de succéder à Denis Coderre, aujourd’hui maire de Montréal, dans les rangs de l’équipe libérale fédérale.
Mauvais combat
Quoique la déception de plusieurs soit plus que justifiée, j’estime qu’être offusqué en raison de l’absence de Noirs au cabinet ne dessert pas l’avancement de la cause de la diversité au sein des sphères décisionnelles.
Outre M. Dubourg, trois autres députés noirs font partie du caucus du nouveau premier ministre composé de 183 députés. Ahmed Hussen est le premier Canadien d’origine somalienne de l’histoire à détenir cette fonction. L’avocat et militant social représente la circonscription de York-Sud-Weston, en Ontario. Celina Caesar-Chavannes, entrepreneure couronnée de succès, a été élue à Whitby, en Ontario. Elle y vit avec son mari et ses trois enfants. Greg Fergus a quant à lui obtenu la confiance de ses électeurs de la circonscription Hull-Aylmer, au Québec. Selon la biographie disponible sur le site du Parti libéral du Canada, il «possède une solide expérience du domaine politique, ayant travaillé à titre de conseiller et conseiller principal en politiques au sein du cabinet de quelques ministres. Il a également oeuvré à tous les niveaux du Parti libéral du Canada, dont comme directeur national, où il a su apporter des changements et innover.»
En comparaison, cinq députés sikh ont été élus en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.
Est-ce un cabinet parfait? Probablement pas. Comme dans toute structure décisionnelle, le gouvernement n’est pas exempt des jeux de coulisse. En décembre dernier, des membres de la communauté sikh en Colombie-Britannique se sont notamment dissociés du Parti libéral de Justin Trudeau, accusant ce dernier de s’être associé à des groupes extrémistes. Toutefois, la diversité au sens plus large en sort grande gagnante. Aussi fière de mes racines haïtiennes et de mon appartenance à la communauté noire que je suis, je ne peux que me réjouir de la présence autochtone dans la garde rapprochée de Justin Trudeau. ENFIN.
Se retrousser les manches
Quel est donc le vrai combat touchant la communauté noire, toute origine confondue ? Répondre aux questions suivantes pourrait offrir une piste de solution.
Quel est son poids électoral au Canada ? Et qu’en est-il de son pouvoir économique au pays – et non pas juste sur la scène québécoise – lorsque l’on compare ces données à celles des Sud-Asiatiques et des Sikh (avec qui le premier ministre a dansé allègrement), ou même à celles des Canadiens originaires de l’Asie de l’est, qui comptent d’ailleurs deux représentants au sein du caucus qui n’ont pas été nommés ministres?
L’amour porté envers un député tel qu’Emmanuel Dubourg, est-ce assez ?Pour récolter collectivement, il faut investir collectivement. Des centaines de bénévoles qui butinent sans relâche sont nécessaires pour effectuer un travail rigoureux sur le terrain en vue d’atteindre des objectifs de financement ambitieux lors d’une campagne électorale.
Si la communauté noire désire accéder un jour à des postes ministériels, il importe qu’elle fasse les choses autrement. S’impliquer activement requiert l’humilité de fermer la porte aux FAUSSES opportunités en refusant de devenir des candidats poteaux dans des circonscriptions perdues d’avance. Les clés du succès consistent plutôt à se rallier aux candidats actifs en mettant en place des stratégies propulsées par une vision globale et à long terme, à promouvoir l’éducation citoyenne auprès de la relève et, surtout, à donner une RÉELLE valeur à son vote.
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