Le 19 novembre 1803 le général en chef de l’armée française de St-Domingue, Donatien-Marie-Joseph de Rochambeau capitule et remit la colonie au général en chef de l’armée indigène, le général Dessalines. Ce nouvel État-nation s’institue en étant contraint de tracer deux lignes parallèles.
Les nouveaux dirigeants recherchent désespérément leur reconnaissance auprès des États esclavagistes. Ils durent finalement payer des indemnités aux anciens propriétaires esclavagistes.
Néanmoins, sur le plan interne, la situation se présente tout autrement : un mouvement pionnier populaire se lance dans l’aménagement de la « Perle des Antilles ».
Or, le fait politique monopolise, quasiment, la représentation d’Haïti, au niveau international; et, pour le fait social, le vaudou accapare toute l’attention en négligeant un des traits de la culture populaire, l’entraide et le travail paritaire. L’accent y est mis sur celui-ci.
Une socio-économie, inédite, s’installe, qui organise le passage de la race du Code noir à la « race » territorialisée, la famille haïtienne, sous l’oeil bienveillant des esprits africains : c’est le lakou.
Il désigne le lieu de résidence, des esprits, de la race, la famille ancestrale. Plus de maîtres ni d’esclaves, les anciennes propriétés des colons sont reconfigurées; et les dons nationaux viennent renforcer ce nouvel aménagement du terroir.
Dans ce cadre, un travail agraire solidaire prend forme, qui n’empiète pas sur les hiérarchies sociales. Héritage africain ou coopération spécifique à l’agriculture traditionnelle, la société agraire haïtienne a apporté des réponses concrètes, endogènes à un principe universel.
La terre est, en effet, objet et moyen de travail; la force motrice principale réside dans l’utilisation de l’énergie humaine; et de la prolongation des activités productives à l’obtention du produit à terme, s’impose une coopération prolongée et continue entre les producteurs. La forme de coopération, le travail en commun des agents au cours de la production, découle de l’utilisation majeure de l’énergie humaine au titre de force productive.
Le débat, sur les associations traditionnelles de travail, tourne autour de leur fonction sociale, économique et de développement, ainsi que sur les distinctions à établir entre combite, escouade, société, etc., en vue de mesurer leur efficacité.
[pullquote_right]La Révolution haïtienne constitue la première révolte d’esclaves réussie du monde moderne. Elle suscite l’espoirs pour les mouvements révolutionnaires d’Amérique latine.[/pullquote_right]Nous observons deux types « souches » : le combite, épisodique et prestataire, et l’escouade, de type permanent et paritaire.
LE COMBITE : ASSOCIATION DE TRAVAIL ÉPISODIQUE
Le combite désigne un groupement occasionnel de travail, qui est formé sur l’initiation d’un propriétaire terrien (Grand, moyen petit) en vue d’accomplir des tâches agricoles impératives; groupement qui comprend des parents, des voisins, des amis et des travailleurs agricoles. Le travail se réalise au rythme de la musique et des chants. L’hôte distribue de la nourriture et de la boisson alcoolisée (clairin).
Le salariat est absent, sauf si l’invité a recruté un groupe d’escouade dont il n’est pas un membre. Ou s’il a déjà épuisé son temps de travail paritaire.
Le recours au combite a lieu lors de la période de pointe du cycle agricole, nécessitant donc une main-d’oeuvre abondante. Parfois, dans une même région, la préparation des terres se déroule à la même époque. La terre doit être défrichée, un peu avant la plantation. Or, les contraintes culturales sont imparables. Sarcler trop tôt fait repousser les mauvaises herbes avant les plantations.
La réunion de plusieurs personnes sur une même superficie permet de lever les goulots d’étranglement, compte tenu des contraintes écologiques, technologiques et de la faible productivité du travail. Les semailles doivent être faites tout de suite après la venue de la pluie. Les dates de semis ou de plantation suivent le cycle des phases de la lune.
Cependant si le combite ne donne pas lieu à l’achat de la force de travail, son organisation s’accompagne d’un débours, servir à manger et donner à boire à des dizaines de personnes signifient que les hôtes aient des dépenses à effectuer; dépenses qui ne sont pas toujours à la portée des petits paysans. Ces derniers utilisent-ils l’escouade?
L’ESCOUADE : UNE ASSOCIATION DE TRAVAIL PERMANENTE
La société de travail se définit comme un regroupement des membres qui s’organisent régulièrement en groupes d’escouade; et, ils ont formé la société de travail en vue de se doter d’un système de prévoyance sociale. L’escouade représente un collectif de travail paritaire et une mutuelle de travail, qui conclut des accords avec des acheteurs de la force de travail.
Paritaire, les membres, estimons un collectif de huit membres, qui travaillent à tour de rôle dans le champ de chacun des membres. Le temps de travail est comptabilisé en journées de travail ou en fractions de journée.
Si un membre a déjà utilisé son tour et qu’il lui reste quand même du travail à effectuer sur sa superficie, il aura alors à acheter de la force de travail, soit auprès des autres membres de l’escouade dont il y participe, soit à d’autres individus ou parmi des groupements.
Dans le cas d’un membre qui ne possède pas de terre, ses unités de temps de travail lui sont restituées en argent, mais à un taux moindre que celui courant sur le marché.
Prestataire, les membres de l’escouade, qui s’appellent « soldats », travaillent pour un « membre », un habitant-un propriétaire terrien, une à deux fois par semaine sur ses propriétés, de février à décembre. Le « membre » doit en échange leur fournit des outils et/ou un boeuf à la fin de l’année; boeuf qui est redistribué au bénéfice de tous les membres, y compris l’habitant, en principe, c’est le 31 décembre : c’est l’attribution.
La question socio-démographique, ratio-personne/terre, la migration, la pénétration des états et capitaux externes ont exercé un certain impact sur la socio-économie agraire, mais n’ont pas pu conduire à entreprendre des modifications majeures.
Une société pionnière a su exploiter habilement des ressources disponibles en structurant une paysannerie post-esclavagiste: l’usage des ressources naturelles jusqu’alors inexploitées.
Sous les décombres du séisme du 12 janvier 2012, la manifestation de la résilience et de l’entraide a étonné le monde entier; monde qui s’est toujours laissé aveugler par le cache-misère politique de l’élite. Cette résilience repose sur le soubassement séculaire de la culture pionnière dans les Amériques, qui fait contraste avec la précarité socio-économique.
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