Du pétrole brut, le meilleur au monde, se déverse sur le Delta du Niger depuis 50 ans dans le silence. Les puits d’eau potable ont été pollués et les terres ont été salit par ce liquide visqueux. L’or noir étouffe la population et la vie locale.“Nous avons tout perdu : filets, cabanes, casiers de pêche…”, se souvient Promise, le chef du village d’Otuegwe. “C’est ici que nous pêchions et travaillions la terre. Nous avons perdu notre forêt. Nous avons prévenu Shell dès les premiers jours de la fuite, mais la compagnie n’a rien fait pendant des mois.”
Ce qui se passe ici est de loin beaucoup plus important que la catastrophe pétrolière qui frappe le Mexique actuellement. Le 1er mai, dans l’Etat d’Akwa Ibom, un oléoduc ancien d’une quarantaine annné et rongé par la rouille, appartenant au groupe ExxonMobil s’est rompue, rejetant 4 millions de litres de brut, dans le delta pendant sept jours avant que la brèche ne soit colmatée.
ExxonMobil Corporation (NYSE : XOM) est une société pétrolière et gazière américaine, dirigée par Rex Tillerson et siégeant à Irving dans la banlieue de Dallas au Etats-Unis.
Les habitants se sont mobilisés contre la compagnie pétrolière. Les dirigeants locaux ont réclamé 1 milliard de dollars [820 millions d’euros] d’indemnités pour les maladies contractées et la perte de leurs moyens de subsistance.
“Les compagnies pétrolières n’attachent aucune importance à nos vies”, déplore Williams Mkpa, chef de village à Ibeno. “Elles veulent notre mort. En deux ans, nous avons subi dix marées noires et les pêcheurs ne peuvent plus nourrir leurs familles ! C’est intolérable !”
Selon un rapport d’Amnesty International, les populations vivant dans les zones de production pétrolière dans le delta du Niger, au Nigéria, doivent utiliser une eau polluée pour boire, cuisiner et se laver, elles consomment du poisson contenant des hydrocarbures et d’autres toxines (lorsqu’elles ont la chance de trouver du poisson), et les terres qu’elles utilisent pour l’agriculture sont détruites.Les communautés se plaignent de problèmes de santé, mais leurs inquiétudes ne sont pas prises au sérieux et l’industrie pétrolière continue de polluer les ressources environnementales nécessaires à leur survie.
Avec 606 champs pétrolifères, le delta du Niger fournit 40 % du total des importations américaines de pétrole brut. C’est énorme.
Le 12 mai 2007, une fuite de pétrole s’est produite sur l’oléoduc Trans-Niger au niveau du village de Kira Tai, en pays ogoni. Les cultures ont été détruites et les poissons de l’étang ont été tués. Selon le chef Kabri Kabri, les représentants de Shell qui ont examiné la fuite ont trouvé sous le tuyau trois trous qu’ils ont attribués à la corrosion. Shell a réparé l’oléoduc et a éliminé mécaniquement une bonne partie du pétrole déversé.
Près d’un an plus tard, la compagnie n’avait pris aucune autre mesure pour dépolluer le site et indemniser la population concernée. Lorsqu’Amnesty International a interrogé Shell, celle-ci avait modifié son évaluation et soutenait que la fuite était le résultat d’un acte de sabotage. La population n’avait pas été prévenue de ce changement et attendait toujours une indemnisation et la dépollution de la zone.
Des exemples comme celui de Kira Tai alimentent la méfiance des communautés envers l’industrie pétrolière.
Cette semaine encore, Chevron Nigeria Limited et une association de pisciculteurs, la United Ufuoma Fish Farmer Association était en désaccord sur la cause de la pollution survenue le 22 juillet de la plus grande ferme piscicole qui regroupe environs 6.000 étangs piscicoles.
Chevron Corporation est la deuxième compagnie pétrolière des États-Unis derrière ExxonMobil, et la quatrième au niveau mondiale derrière BP et Shell. Basée à en Californie / Fortaleza, elle est présente dans plus de 180 pays et œuvre dans chaque aspect de l’industrie du pétrole et du gaz : exploration et production ; raffinage, vente et transport ; fabrication et ventes de produits chimiques ainsi que la production d’électricité.
Avec la mort massive de poissons et la contamination, les dommages à l’établissement de pêche ont atteint plus de 2.000 familles dans différentes régions du pays. Mercredi, le 4 août les agriculteurs, dans le but de limiter leurs pertes, évacuaient encore des poissons morts des eaux sales des étangs affectés avec machines de pompage pour déménager poissons survivants dans de nouveaux étangs.
Pourtant, le delta du Niger aurait pu être un lieu où foisonne la vie. Le delta du Niger représente l’un des dix principaux écosystèmes marins de zone côtière humide au monde et il abrite quelque 31 millions de personnes. Selon certaines estimations, depuis les années 1960 le pétrole a rapporté 600 milliards de dollars (environ 430 milliards d’euro).
Pourtant, la majorité de la population vit dans la pauvreté sans accès adéquat à l’eau salubre ou à des soins médicaux. Selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), cette région souffre « de la négligence administrative, d’infrastructures et de services sociaux en train de s’effondrer, d’un fort taux de chômage, de la misère sociale, d’une pauvreté abjecte, d’une crasse repoussante et d’un conflit endémique ».Cette pauvreté, qui contraste avec la richesse générée par le pétrole, est devenue l’un des exemples les plus violents et les plus inquiétants de la malédiction que représente la présence de ressources naturelles.
La destruction des moyens de subsistance ainsi que l’absence de réparation et d’obligation de rendre des comptes ont amené certaines personnes à voler du pétrole et à se livrer à des actes de vandalisme sur des infrastructures pétrolières dans l’espoir d’obtenir des indemnités ou des contrats de dépollution. De plus en plus, des groupes armés exigent un plus grand contrôle des ressources de la région et se livrent au vol de pétrole à grande échelle ou enlèvent le personnel des compagnies pour obtenir une rançon. Les représailles du gouvernement contre l’activisme et la violence impliquent fréquemment un recours excessif à la force et les communautés sont soumises à la violence et à un châtiment collectif, ce qui accroît la colère et le ressentiment. Les jeunes n’ayant que peu de choix quant à leur moyen de subsistance peuvent voir le vol de pétrole, les gangs et les groupes d’extrémistes comme la seule solution.
Il est impossible de mesurer la quantité de pétrole répandu dans le delta du Niger chaque année, car les pétroliers et le gouvernement veillent à ne pas divulguer l’information. Cependant, si l’on en croit deux grandes enquêtes indépendantes réalisées ces quatre dernières années, il s’en déverse autant par an dans la mer, dans les marais et sur terre que ce qui a fui dans le golfe du Mexique jusqu’à présent… Selon un rapport publié en 2006 par le World Wide Fund (WWF) Royaume-Uni, l’Union internationale pour la conservation de la nature et la Nigerian Conservation Foundation, jusqu’à 1,5 million de tonnes de brut – soit cinquante fois la marée noire provoquée par le pétrolier Exxon Valdez en Alaska – se sont déversées dans le delta durant le demi-siècle écoulé.
Selon l’Agence nationale pour la détection et la réaction aux déversements accidentels de pétrole, en mars 2008, dans le delta du Niger, 2 000 sites au moins avaient besoin d’être nettoyés en raison d’une pollution liée aux hydrocarbures. Leur nombre réel pourrait être bien plus élevé.
Alors pourquoi ce silence?
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