Dans les annales de la ségrégation raciale canadienne, Viola Desmond est une figure emblématique d’un temps où la vie des Noirs était un perpétuel combat. Bien avant qu’une certaine Rosa Parks allait marquer le temps en refusant de céder son siège à un Blanc dans un bus, Viola Desmond refusa de quitter, dans un cinéma, une section réservée seulement aux Blancs.
Cet incident qui eut lieu en 1946 au Roseland Theatre à New Glasgow en Nouvelle-Écosse, souligne bien la force de caractère de Viola Desmond, 32 ans alors, mais surtout les entraves quotidiennes que devaient subir les Noirs, dans l’histoire assez récente du Canada. Ici, moins de cent ans.
Viola Desmond (née Davis) est née le 6 juillet 1914 d’une fratrie de quinze enfants, elle a grandi dans une famille de la classe moyenne, mixte d’Halifax. La mère de Viola Desmond, Gwendolin Irene Davis, était la fille d’un pasteur baptiste » blanc aux 7/8 » qui arriva à Halifax en provenance du Connecticut tandis que sa mère, Susan Smith fut 100% blanche. Le père de Viola était James Albert Davis, un homme noir. L’union des parents de Viola en 1908 était considérée comme un mariage interracial.
Viola Desmond, malgré sa pâleur de peau, fréquenta les écoles ségréguées pour Noirs de la Nouvelle-Écosse, un acquis du temps de l’esclavage qui court encore aujourd’hui atteste que si vous avez quelque part d’un ancêtre Noir, vous êtes Noirs, même si vous êtes aussi luisant qu’une luciole. Le jeune soeur de Viola se souviendra d’entendre à l’école: « On peut penser que tu es blanche lorsque l’on voit ta mère à la journée des Parents, tant que l’on ne voit pas ton père… »
En grandissant, Viola fait le constat que les services de beauté, pour la peau et capillaires, sont déficients pour sa communauté noire alors que ces femmes d’ébènes désiraient vivement vanter aussi bien leurs attraits que toutes les autres femmes qui jouissaient, elles, d’une panoplie de produits. Cette étincelle qui germa en Viola, fut une occasion pour la jeune femme de bâtir une entreprise et ainsi échapper aux gagne-pains traditionnels qu’occupaient la majorité des Noirs de l’époque. Des emplois durs, peu valorisants, des services domestiques qui flirtent avec la servitude comme femme de ménage, servante, cuisinière.
Les origines noires de Viola l’empêchaient d’avoir une formation d’esthéticienne adéquate à Halifax, elle dut donc prendre la route et apprendre son futur métier ailleurs avec l’appui de son mari Jack Desmond. Son modèle d’affaire, elle l’apprendra principalement dans les écoles de Madame C.J. Walker, la première femme noire millionnaire aux États-Unis. Viola comprit très vite l’ampleur du marché sinon son importance.
En s’immisçant à la chimie et à l’art des crèmes pour le corps, elle créera sa propre marque sous le label « V’s Beauty Products« . La chanteuse Portia White fera partie de sa clientèle. N’arrêtant jamais de se perfectionner, en 1945, Viola Desmond se voit récompenser par le prix Montreal Orchid School of Beauty Culture.
Après avoir ouvert son propre studio, elle inaugurera `le Desmond School of Beauty Culture qui ouvrira ses portes aux étudiantes noires en Nouvelle-Ecosse, au Nouveau Brunswick et au Québec. Avec ces établissements, Viola Desmond désirait, avec ses étudiantes, créer des franchises à travers le Canada.
C’est lors de ses nombreux voyages d’affaires, le 8 novembre 1946 que la Dodge Sedan 1940 4-portes de Viola Irene Desmond prend panne à New Glasgow. Forcée d’attendre des pièces, elle décide de tuer le temps en regardant le film de 19 h au majestueux Roseland Theatre. Elle s’y présenta, tendit un dollar à la caissière, lui demanda « un en bas ». La caissière lui remet 70 centimes et une place pour le balcon, en haut. Machinalement la femme d’affaires prend place dans les sièges principales du théâtre. De là, on l’interpelle lui signifiant qu’elle doit se rendre au balcon, place désigner pour les Noirs. Elle refuse de s’y conformer.
Viola sera emprisonnée une nuit, douze heures, en compagnie d’autres détenus masculins. Elle dira: » J’étais dans une cellule où il y avait une banquette et une couverture. » Le jour suivant, le 9 novembre 1946, elle comparaitra devant le magistrat, sans avocat, sans qu’on lui ai annoncé ses droits. Viola Desmond fut accusée d’avoir enfreint une législation encadrant les Theatres, Cinemas et Amusements. Comme cette loi n’évoquait pas clairement la ségrégation, on l’accusa publiquement de ne pas avoir couvert les taxes de son billet. Il manquait 1 centime… Elle fut condamnée a payer 26$ sinon elle aurait à passer un mois en prison. L’affaire fera grand bruit et les titres des journaux de la province maritime.
En 1955, la ségrégation raciale fut enfin abolie en Nouvelle-Écosse en partie grâce à l’action de Viola Desmond. Viola finit par déménager à Montréal puis éventuellement à New York. Elle y mourut à 50 ans sans avoir eu d’enfant en 1965.
Quarante-cinq ans après sa mort, en 2010, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a formellement formulé des excuses à la famille étendue de Viola Desmond. Une prérogative royale de clémence a également été offerte par la lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, l’honorable Mayann E. Francis, une femme noire d’un père Cubain et d’une mère de l’île d’Antigua, qui a reconnu que Desmond était innocente et que sa condamnation avait été une erreur.
Soixante-dix ans après que Viola Desmond ait pris cette place dans ce cinéma de la Nouvelle-Écosse en 1946, le 3 mars 2016, Tony Ince le ministre des communautés, de la culture et du patrimoine ainsi que le ministre des affaires afro-néo-écossaises annonce que le nouveau traversier Halifax Transit sera baptisé « Viola Desmond ». Lors du dévoilement du nom M. Ince a affirmé «Quand nous aurons des touristes et des visiteurs qui viendront dans notre province, ils se demanderont : ‘ Qui est Viola Desmond?’ Ceci nous aidera à répéter et raconter cette histoire.«
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