On a peine à y croire et c’est pourtant vrai. Au XXIe siècle le théâtre français renoue avec la tradition raciste des « minstrel shows », très en vogue dans le Sud des USA après la guerre de sécession, à l’époque du Ku-Klux-Klan et des lynchages, dans lesquels les Africains ou les personnes d’ascendance africaine étaient, au théâtre, joués par des acteurs à la peau blanche grimés et maquillés.
En 2010, déjà, un film ouvertement raciste, destiné à vilipender Alexandre Dumas nous avait montré Gérard Depardieu maquillé et affublé d’une perruque frisée pour représenter le prolifique écrivain et voici qu’un an plus tard, pour incarner le rôle de Chicken dans Le paradis sur terre, une pièce rarement jouée (et pour cause…) de Tennessee Williams, à compter du 6 septembre 2011, au théâtre Edouard VII, le directeur-metteur en scène, Bernard Murat, choisit… Johnny Hallyday.
Voici donc l’ex-chanteur « yé-yé », qui est devenu, apparemment, l’une des références de la culture française, lui aussi grimé et affublé d’une perruque pour incarner un « mulâtre ». La question n’est pas de mettre en doute les qualités d’acteur de Jean-Philippe Smet. La n’est d’ailleurs pas le problème puisque l’une des lois de la minstrelsy, c’est que l’acteur grimé doit être ridicule puisque le nègre et, plus encore, le « mulâtre », serait ridicule.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’au pays de Tennessee Williams on ne pourrait imaginer une pareille provocation. Mais en France, aucun problème. Avec les organisations antiracistes et la presse que nous avons, peu probable qu’une seule voix audible s’élève. Audible ou non, la mienne s’élèvera néanmoins.
Les comédiens talentueux susceptibles d’incarner Chicken, sans qu’on ait besoin de les grimer, ne manquent pas en France. Mais ils ne sont pas engagés. Bernard Murat ne le sait que trop.
Si, pour jouer n’importe quel rôle du répertoire, par exemple dans Le prénom, qui lui a valu un Molière, le metteur en scène avait choisi ses acteurs sans tenir compte de leur couleur de peau, il n’y aurait rien à dire. Au lieu de Patrick Bruel dans le rôle principal, il aurait pu penser par exemple à Alex Descas, salué par Le Monde comme le meilleur comédien français. Mais tel n’est pas le cas. Pour une des rares pièces qui permette à un comédien « de couleur » de jouer un premier rôle, Murat choisit un acteur au phénotype « aryen », cheveux teints et grimés. Cela ne peut être un hasard. D’autant que l’expérience de Depardieu en Dumas a valu une polémique et un échec.
La campagne de presse mise en œuvre est censée pallier tout risque et Johnny Hallyday, éminent négrologue puisqu’ayant interprété « Noir c’est noir » explique lui-même sans complexe qu’il joue le rôle d’un « demi-noir… qui n’est pas vraiment noir ». Il a été invité par toutes les télévisions à commencer par la chaîne TF1 qui lui a fait les honneurs du journal avec 6’18’’ de publicité. Les médias français ont salué cette mascarade ouvertement raciste comme une «performance» montrant une « facette différente » de son travail d’artiste.
Nous prenons acte de cette minstrelsy, comme nous avons pris acte du fait que Johnny Hallyday, naguère lui-même accusé de viol (mais ayant bénéficié d’un non-lieu) fut l’un des plus ardents défenseurs de Strauss-Kahn, qui plastronne du fait de son impunité malgré les accusations de viol portées contre lui notamment par une immigrée africaine de New York.
Nul doute que pour sa première sortie publique, DSK aura eu l’idée assister à la première de cette pièce et que Bernard Murat n’aura pas manqué de l’inviter, comme il l’aura fait pour les autres grands négrophiles français que nous connaissons bien et qui se seront pressés aux premières loges.
L’ironie terrifiante de cette histoire c’est que sur le site de ce théâtre, on apprend qu’ « aujourd’hui, sous la houlette de Bernard Murat, il continue d’être le théâtre de la diversité »
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