Cachez ces non-dits qu’on ne saurait entendre
C’est une Marie Ange Barbancourt mi-Tina Turner mi-Diana Ross qui a foulé le tapis rouge mercredi soir dernier, dans une robe de satin rouge signée Helmer, accompagnée de son conjoint et de quelques-uns de ses acteurs principaux dont Natacha Noël, vêtue d’une séduisante robe noire de Anomale Couture, Jacquy Bidjeck et Pascal Darilus. La voix derrière le thème du générique, le chanteur Gardy Fury, était aussi aux côtés de madame Barbancourt ce soir-là. Pour qui le connaît bien, le paradoxe haïtien était là.
Faux espoirs
Une étiquette de drame sociopolitique avec pour toile de fond Haïti, la promesse d’une mise à jour des vrais problèmes de la société haïtienne, la distribution la plus importante de comédiens noirs dans un film québécois, une mention du jury au Festival de Milan, tout cela avait l’air bien alléchant lors de la première du premier film de Marie Ange Barbancourt, à l’Impérial.
Pour que plus jamais raconte l’histoire de Mia (rôle tenu par Marie Ange Barbancourt), une Québécoise d’origine haïtienne, qui se voit propulsée dans son pays natal après le meurtre de sa mère, afin d’aller régler les funérailles et les modalités de succession. Elle est parachutée au milieu de gens qui ne lui ressemblent pas, ni par la couleur de leur peau ni par leur culture, qui se déclarent plus légitimes qu’elle dans la réclamation de son héritage maternel et qui la considèrent comme une étrangère qui n’a rien à faire dans ce pays qui est théoriquement le sien.
Faux pas
En réalité, le spectateur ne comprendra pas trop ce qui se passe, ni qui campe quel personnage, d’autant plus que la majorité des acteurs gardent un accent québécois, ce qui est assez déstabilisant dans ce contexte. Oui, en Haïti, il y a des Haïtiens de toutes les couleurs, on en convient. Mais un Haïtien blanc, noir ou métis, qui vit en Haïti et qui a un accent québécois très prononcé, c’est en quelque sorte de l’ordre de l’absurde. On comprend mal le choix d’avoir laissé les comédiens parler de cette manière, utilisant des tournures de phrases et des expressions qui ne conviennent pas; ce genre de choc culturel enlève malheureusement beaucoup de crédibilité au long-métrage.
[blockquote author= »Marie Ange Barbancourt » pull= »pullleft »]Il faut arrêter de jouer à l’innocent dans le cas d’Haïti. L’Haïtien aime croire que tout va bien. Le voisin est un violeur, faut pas en parler … faut pas que le voisin sache. Quand on ne dénonce pas, ça continue.[/blockquote]
Dans la majorité des scènes, le jeu des acteurs est trop théâtral pour plaire à un public québécois désormais habitué à plus de qualité de la part de ses comédiens. Les textes sont récités et manquent de fluidité. Les nombreux problèmes techniques également rendent hélas l’expérience pénible et décevante. Le son semble sorti d’un bocal à poissons rouges et les sous-titres manquants empêcheront plusieurs de comprendre les quelques extraits en créole. On saisit mal ce manque de rigueur, alors que le festival de films de Milan l’avait pourtant salué. Peut-être que cela vient du fait que Marie Ange Barbancourt ait d’abord une formation en art dramatique et non en cinéma? Peut-être que cette histoire aurait été mieux transcendée sur des planches qu’au grand écran?
Une autre déception de ce film, c’est le fait que, apparemment pour des questions de sécurité, plusieurs scènes haïtiennes aient été tournées ailleurs qu’en Haïti, entre autres en République Dominicaine, alors que l’on connaît le scandale qui règne entre les deux pays depuis toujours, et particulièrement depuis plus récemment. Pourquoi ce choix de tourner ailleurs, alors que depuis quelques années, une volonté notoire existe entre le Québec et Haïti en matière de collaboration cinématographique et culturelle? Le drame sociopolitique serait-il plutôt là?
Lire entre les lignes
Ce que Marie Ange Barbancourt a voulu démontrer et qui ne transparaîtra pas si clairement qu’elle l’aurait désiré, c’est cette dichotomie culturelle que vivent bien des Québécois d’origine haïtienne. Mais ce problème d’identité québécoise n’est pas l’apanage des Canado-Haïtiens, c’est un phénomène de déracinement culturel que vivent presque tous les immigrants depuis des décennies. Cela pourrait s’appeler plus communément le syndrome du juif errant, comme Brassens le chantait. L’immigrant est en quelque sorte toujours assis entre deux chaises, ni tout à fait d’ici ni tout à fait de son pays d’origine.
[blockquote author= »Marie Ange Barbancourt » pull= »pullright »]C’est l’éducation qui sort le peuple du marasme.[/blockquote]
Lorsqu’on lui demande comment elle terminerait la phrase de son titre, Marie Ange Barbancourt répond de but en blanc : ‘’pour que plus jamais le mensonge, la malversation, pour que plus jamais la violence, le viol, pour que plus jamais les assassinats…’’ La douleur de Marie Ange Barbancourt est encore à vif, et cela transpire dans la nécessité de faire un film dénonciateur de violences et d’injustices.
Marie Ange Barbancourt est consciente que certains ne comprendront probablement pas le message qu’elle a voulu livrer, mais elle a fait ce film pour vivre sa première expérience de film d’auteure, et pour ceux qui sauront lire entre les lignes, dit-elle. Comprendra qui pourra.
[notification type= »information » title= »Pour que plus jamais »]Le film de la cinéaste canadienne aux origines haïtiennes propose pour la première fois au Québec un film mettant en vedette trois actrices Noires. Il pourra être apprécié dès le 16 mai 2014 dans ces salles de cinéma: Cinéma Beaubien de Montréal, Guzzo Méga-Plex Lacordaire, Guzzo Méga-Plex Pont-Viau à Laval, Cinéplex Odeon Forum, Cinéma Le Clap de Québec et la Maison du Cinéma dans la ville de Sherbrooke.[/notification]
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