Comme les années électorales précédentes, les afrodescendants de Belgique se sont retrouvés nombreux sur les listes électorales. Comme en 2014, ils sortiront déçus des élections de 2019. Car ils ne seront que très peu à être élus, victimes du jeu mesquin, voire méprisant des partis politiques à l’égard d’une certaine classe politique afrodescendante.
Les Afrodescendants doivent se rendre compte que malgré la négation publique des élites politiques, la Belgique est un pays « communautariste » par son histoire, sa composition humaine, socio-ethnologique, géographique et linguistique. Par conséquent, son système politique et électoral n’en est que la pure expression.
Le système électoral de listes et les votes de préférence devraient inviter les élus politiques afrodescendants à faire attention à leurs positions sur les listes et à exiger des places éligibles. Car dans ce genre de système, toutes les voix comptent.
En outre, la nature et la réalité du racisme devraient être reconnues : le racisme est avant tout le premier des « communautarismes », du fait des privilèges et places de préférences et d’emplois, qui sont accordés ou que s’accordent les uns en fonction de la prétendue supériorité ou suprématie de leur « race » sur les autres.
Fort des deux éléments ci-dessus, la réponse efficace contre le racisme et les discriminations qui en découlent consiste à se faire valablement représenter dans les instances de décisions des organisations publiques et privées. Ce communautarisme de réaction et « d’autodéfense » est malheureusement peu compris de la majorité des afrodescendants. Les autres communautés l’ont compris, et les résultats électoraux parlent pour elles positivement à chaque élection.
À quoi assistons-nous en réalité? Un spectacle puéril et désolant d’une classe politique afrodescendantes, qui, depuis des années a bâti sa « carrière politique » à travers des concurrences stériles entre hommes et femmes politiques originaires parfois du même pays ou de pays différents. Parmi eux, certains, adoubés par le système dominant, s’illustrent dans le « diviser pour mieux régner », jouent de leur « congolité » pour affirmer leur préséance et légitimité historique et sociale en Belgique par rapport à d’autres communautés africaines. En fait, ils revendiquent en quelque sorte leur « statut d’évolué », comme à l’époque coloniale.
Les conséquences, que certains d’entre nous n’ont cessé de dénoncer depuis un quart de siècle, sont celles que Bertin Mampaka, un des leaders incontestés de la communauté afrodescendante en Belgique, constate lui-même dans une interview du 22 mai 2019, dans le journal en ligne « Congo indépendant »[1] : « On a assisté une prolifération de candidatures. Le risque est qu’il y ait une énorme dispersion des voix au niveau spécialement de la communauté congolaise. À titre d’exemple, Ixelles compte 45 candidats dont 5 Subsahariens. Il y a sans doute des candidatures de complaisance. Des attrapes-voix. Contrairement aux Belges d’origine turque et maghrébine, les Congolais de Kinshasa voient leur représentativité s’amenuiser. Sans vouloir jeter la pierre sur qui que ce soit, je constate que le subsaharien est facilement « divisables ». Les Européens, eux, sont constamment dans une attitude de rapports de force. Nos divisions sont exploitées par les autres communautés. En fait, il manque à la communauté congolaise une sorte de « sage » devant jouer le rôle « d’arbitre ». Pour tout vous dire, nous avons eu une « campagne électorale pourrie ».
Bertin Mampaka, qui ne peut pas se plaindre de n’avoir pas reçu le soutien de la communauté, fait-il une autocritique de plus d’un quart de siècle de vie politique ? regrette-t-il de n’avoir pas pu faire plus pour renforcer les capacités politiques des afrodescendants ? Est-ce le constat d’un héritage politique mal préparé ?
« Je veux simplement dire, poursuit Bertin Mampaka, qu’on ne s’improvise pas politicien. On assiste à l’apparition d’une importance quantité de jeunes candidats – toutes tendances politiques confondues – quelque peu « indisciplinés ». Ces jeunes considèrent que « les anciens n’ont rien fait ». Que dire des emplois créés, des logements sociaux pour lesquels nous nous sommes battus et des subsides accordés à des associations? La campagne a été « pourrie » parce que nous avons côtoyé des gens dénués d’une bonne éducation. Je leur dis: on peut battre campagne tout en restant courtois et respectueux des autres » (…) Il s’agit, à mon avis, d’un problème d’ambitions mal gérées, voire démesurées. Une situation due à une ignorance des « codes » de la politique. Pour réussir en politique, il faut commencer par coller les affiches d’un candidat. Lorsqu’on colle ses propres affiches, on ne va jamais loin… ». Bertin Mampaka peut se tromper.
En effet, la nouvelle génération de jeunes afrodescendants est certainement mieux outillée, encadrée et consciente des dégâts de la mentalité de « colonisé » et du racisme et de la négrophobie, tirent les leçons de l’expérience de leurs aînés. Le rapport de force dont parle Bertin Mampaka se construit, dans une attitude et posture de dignité. Ce que les jeunes mettent en avant. Le résultat des prochaines élections surprendront sûrement, des jeunes afrodescendants détrôneront des anciens. On pourra être surpris par une volonté de changement de génération : au CdH par exemple, une surprise pourra venir de la jeune comme Gladys Kazadi, 12e effective à la région de Bruxelles.Doit-on s’en offusquer ? N’est-ce pas la nature des choses ?
Les jeunes générations doivent cependant se garder de trois attitudes pièges/défauts : le complexe de « colonisé », une intériorisation de la supposée infériorité dans laquelle enferme le discours raciste. Or, l’amour de soi doit être entretenu, qui favorise la confiance en soi et le développement des potentialités intrinsèques. Le second défaut est le « Mhoiceulisme » (« moi seul » décrié par l’écrivain africain Bernard Dadié dans les années des indépendances africaines), attitude solitaire qui anéantit toute posture de travail en équipe. Enfin, il faut s’écarter du « plairisme », qui consiste selon nous à faire plaisir à l’Homme « Blanc » et au système dominant, ceci parfois dédoublé de bouffonnerie et de pitrerie.
Aussi, conseillerions-nous aux afrodescendants conscients des réalités et difficultés de la communauté, de ne pas gaspiller leurs « munitions » électorales le 26 mai prochain. Allez voter. Tout vote compte. Voter nominativement, donner votre voix de préférence à des candidats épris de changement politique et social de la société. Donnez vos voix à ceux qui vous ont démontré qu’ils se battaient pour la justice et l’égalité sociale réelle. Donnez vos voix aux afrodescendants qui ont mis leur expertise et leur savoir-faire au servir d’un autre monde, d’une société ouverte pour une meilleure vivre ensemble.
Une analyse attentive des listes laisse entrevoir les choix politiques communautaristes fait par les partis politiques dans la composition des listes, élargissant la base des nationalités africaines. Cependant, on ne prend que rarement en compte et le respect de la compétence, de la notoriété affirmée des afrodescendants. Comme ci le système dominant a manifestement peur de la montée des afrodescendants de qualité dans la politique européenne, notamment dans le fait qu’il trouve sa force de domination de l’Afrique dans la neutralisation de l’émergence de toute force politique afrodescendante en Europe. La précarisation des afrodescendants en Europe a pour projet politique leur affaiblissement vis-à-vis du continent africain.
Pour le 26 mai 2019, ceux des afrodescendants qui ont des chances d’être élus ne sont pas nombreux. Les candidats en positions éligibles sont les suivants : au niveau fédéral, à la chambre, Alain Eyenga de Défi (2e effectif sur la liste du Hainaut qui compte 18 députés à élire) ; à la région de Bruxelles : Barbara Trachte et Kalvin Soiresse d’Ecolo, respectivement 2e et 3e effectifs et Pierre Kompany, du CdH, 2e effectif ; à la région wallonne : Germain Muguemangango, PTB de Charleroi et Joelle Kampompole, PS de Mons, respectivement têtes de liste.
Aux autres candidats, donnez-leur vos voix pour les aider à faire du poids à l’intérieur de leur parti politique. Mais qu’ils ne vous fassent pas croire que vos voix permettront leur propre élection. Donnez-leur directement vos suffrages (voix), ils pourront mieux défendre vos droits. Votez pour changer la, société. Votez pour changer le monde. Votez pour combattre le racisme, la négrophobie et l’islamophobie. Mais gardez-vous des discours des bonimenteurs, qui, à la veille de chaque élection, vous font des promesses pour les renier, et vous reniez le lendemain.
[1]– Mampaka Bertin : « Le royaume de Belgique n’est pas un ennemi. C’est un allié du Congo », Baudouin Amba Wetshi, 22 mai 2019 (https://www.congoindependant.com/mampaka-le-royaume-de-belgique-nest-pas-un-ennemi-cest-un-allie-du-congo/comment-page-1/….).
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