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TEXTES CRÉATIFS
(Partenariat Black is the warmest color)
Gabriella Kinté
Parue dans le cadre de Black is the warmest color – édition II
À mon fils Kwamé que j’aime déjà.
Cet après-midi, jasons de Montréal.
J’y suis née, j’y ai grandi et tu y grandiras aussi.
Elle a de beaux grands parcs verts dans lesquels nous irons jouer.
Plein d’endroits sympas où manger et de beaux musées qu’il faut absolument qu’on aille visiter.
Montréal, c’est aussi elle qui m’a fait tomber en amour avec ton papa et son sourire.
Nous nous sommes unis que quelques jours après avoir passé plusieurs nuits blanches à nous écrire.
Tu sais quoi? Je souhaite que tu sois comme lui.
Que tes meilleurs amis seront « carnets » et « stylos ».
Tu devrais le voir chaque soir, qu’est-ce qu’il est rigolo!
Collation, promenade autour du bloc et, lorsqu’il rentre, il se met à écrire ses pensées.
Mon hypothèse, c’est que le vent lui souffle ses idées.
Je ne l’ai jamais vu composer sans être allé flâner.
Je suis convaincue que tu vas lui ressembler!
De toute façon, je le sens bien dans mon bedon, tu es un oiseau de nuit, comme papi
C’est juste que…
Lorsqu’il sort après une certaine heure, j’ai la trouille pour lui, pour toi aussi, ça sera comme ça.
J’ai pensé à te garder enfermé dans mon ventre pour te protéger.
Mais mon médecin m’a dit que ce n’était pas possible.
Qu’à l’Halloween au plus tard, tu allais tout faire pour sortir.
C’est bon, je vais te laisser me quitter.
Quitter, grandir et puis sortir.
En revanche, peu importe l’âge que tu auras, quand tu iras faire un tour à l’automne,
Je te rappellerai de ne pas oublier de mettre ton hoodie.
Je ne voudrais pas que tu prennes froid lorsque le vent te soufflera tes idées.
Je n’ai juste pas envie que tu mettes ton capuchon.
C’est à cause de ce qui s’est passé au fils du voisin, Trayvon Martin.
Je n’ai pas envie qu’il t’arrive la même chose. Je ne suis pas très bonne pour pleurer.
Disons que, lors de tes futures promenades, certaines personnes pourraient s’arrêter sur ton image.
Ton visage, tes cheveux et ton hoodie seraient perçus par eux plus favorablement si tu étais blanc.
Maman est triste et s’excuse d’être préoccupée par tout ça, alors que tu n’es même pas encore né.
C’est juste que j’ai vécu des moments qui m’ont troublée.
On m’a souvent traitée différemment pour des choses que je n’ai pas choisies.
Un peu comme, toi, tu ne choisiras pas lorsqu’il s’agira de ta peau, de ton genre et de ton nom.
Je t’explique, hors de mon ventre, tout va très très rapidement!
On a tous et toutes des biais dont nous ne sommes pas conscients.
Il faut travailler, consommer et ne pas trop râler.
Des fois, ça va tellement vite que, les grandes personnes, elles n’ont pas le temps de se construire leurs propres idées.
Alors, elles en empruntent dans une boîte qu’on appelle la télé.
Tu vois cette boîte, je pense qu’elle est trop petite et qu’il n’y a pas de place pour nous.
Toi aussi tu trouveras ça étrange qu’à l’intérieur, les gens sont blancs presque tout le temps et que, par la fenêtre sur Villeray, c’est tout coloré.
Je sais que ça sort tout croche et que tu dois te demander : « Mais, où est-ce que ce dialogue ira? »
Je ne sais pas, je n’ai pas le privilège de te faire éviter certaines situations.
Tu pourrais être perçu comme plus hostile, plus dangereux, et ma seule promesse, c’est que si tu veux en parler sache que nous ne trouverons pas que tu exagères.
De toute façon, nous ne serons pas surpris.
Dans la métropole, il ne manque pas d’antécédents :
Bony Jean-Pierre,
Fredy Villanueva,
Quilem Registre,
Pierre Coriolan
sont à présent des souvenirs.
Traités différemment,
Perçus différemment…
Sauf par leurs mamans.
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Miriame Gabrielle A.
Parue dans le cadre de Black is the warmest color – édition II
Apparemment qu’il faudrait prendre le temps.
Laisser moi me poser là un instant
Essayer de réfléchir
Voir plus clairement
Selon quels critères la vitesse exigée est-elle érigé?
Un pas devant l’autre
En toute uniformité
Un pas à la fois
Face à une telle grossièreté
Chaque chose en son temps
Qu’on entend si souvent
Ces choses se passent
Ces choses s’entassent
Ça s’empile
Sur une structure fragile
Couvert d’une armure d’argile
Façonner par des doigts ma foi… bien agile
Je n’ai pas pris le temps
Qu’on m’a imposé
À coup d’événements
Qu’on dirait traumatisants
»Ahh, pauvre enfant »
Laissez-moi rire
L’ironie de votre déconcertassions
La tête dans votre confort
De petite enfance multicolore
Tous à essayer de fuir
À essayer de contourner les vraies questions
Je n’ai pas eu le temps
Qui à filer en un souffle
Passant sous mes yeux
Ces moments dit »précieux »
Avec une tape dans le dos
Que se contentent ces prétentieux
Qui masqué de fausse compassion se camouflent
Dès l’entrée de jeu
T’as encore le temps
Que jette au visage de ma jeunesse
Les biens pensants aux histoires d’antan
»Tu verras quand tu vieilliras » que me souffle
L’instrumentalisation de ma jouvence
Au nom de discours de sagesse corrompu
»Tu es si mature pour ton âge » que me dévoile
Le manque de justesse et l’absence de finesse
Face à mes fondements au passé dit troublant
Pause. Time out.
Laisser moi me poser un instant
Essayer de réfléchir
Voir plus clairement
Je vois. J’entend.
Je vois que le temps n’attend pas.
Je vois que le temps file à son rythme, une seconde à la fois.
J’entend le cliqueti de mon horloge interne me rappeler que son temps
et ses rythmes diverses m’appartiennent.
Que la course des autres, n’est mienne.
Laisser moi me poser un instant.
Laisser moi prendre mon temps.
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Séphora Compère –
Parue dans le cadre de Black is the warmest color – édition II
Petite fille des champs à la peau marron.
Les pieds dans l’eau salée, c’est une mer de larmes que tu t’es pleuré.
Personne ne peut te sauver, même si la force des vagues en viendrait à t’emporter.
Seule, tu apprends à nager, les yeux fixés sur la berge
avec résistance. Tu laisses ton chagrin sur la plage.
Petite fille des champs aux cheveux couleur d’ébène.
L’odeur et le confort du sein maternel t’ont inopinément échappé.
Loin derrière sont les rizières, les vallées vertes parsemées de rires
d’enfants. Le départ n’a pas de raison et les questions restent prises
dans ta gorge. Personne ne te diras pourquoi, mais cela fait ton coeur
d’enfant douter de sa bonté.
Et maintenant, loin derrière sont les arbres fruitiers, les poules, les
chiens de cour, les soirées de contes, ou même le souffle chaud de ta
petite soeur qui dort toujours pressée contre ton coeur.
Loin derrière est ta mère.
Si tu étais autre, que ton sexe était autre, que ton histoire était autre,
ta voix aurait pu se faire entendre. Peut-être même la sienne.
Mais toutes deux, vous n’êtes que des petites filles des champs à la peau marron.
Ta main gauche est liée derrière ton dos, ton regard est au sol et ton
esprit est centré vers la droiture. Une institution est mise en place pour
te modeler et tu ne peux faire autre chose que de suivre sa guidance.
Le choix n’existe pas.
Ta peau et ton sexe deviennent un uniforme, la définition de ta valeur.
Peu importe les couleurs vives de l’habit d’écolière, peu importe ton
rire et tes jeux, ton regard parle. Il révèle que tu te sais condamnée à
ne jamais espérer.
Tu n’as pas d’innocence.
Tu te consoles, tu ravales tes larmes et ta colère, mais ton coeur bat
d’un rhytme saccadé, confiné dans la stoïcité de ta posture. Ton échine
ne se courbe pas sous le poids de tes réalisations, mais la lourdeur de
chacun de tes pas rententit jusqu’au sein de la terre.
Petite fille de l’Artibonite aux yeux couleur de café.
Ton uniforme se tourne comme une arme contre toi. Un doigt
autoritaire, imaginaire, constamment en périphérie de ta vie, qui te
dicte tes options. Selon Dieu, selon l’autre sexe qui est plus fort que toi
et de qui ton sort ne cesse de dépendre.
Petite Artibonite, petite fille à la peau marron, au cheveux ébenes et aux yeux cafés.
Dans cet uniforme qui grandi avec toi, qui vieillit avec toi, quand ton
coeur sera-t-il allégé par la tendresse? D’où viendra la brise réparatrice
qui emportera la mort de tes branches, qui fera pousser tes racines et
qui fera finalement germer des fleurs dans tes branches.
Petite Artibonite, ti flè choublak, petite fille de la terre.
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L'Encre Noir