Handy Yacinthe est né à Montréal en 1985, d’une mère qui faisait partie d’une troupe professionnelle de danse folklorique haïtienne. Son frère aîné était également doué pour le sixième art, et c’est en traînant avec lui dans les quartiers de leur enfance que le jeune homme est tombé dans l’univers de la danse de rue dès son jeune âge, jusqu’à en vouloir faire sa propre carrière. C’est ainsi que de manière autodidacte, en voyageant ici et là, en rencontrant des grands du street dance à travers les États-Unis, et le Monde, qu’il prend son nom de scène en 2005. On disait de lui qu’il dansait comme un monstre, et comme il faisait du « popping », on l’a baptisé MonstaPop.
La culture du street dance
Si vous avez déjà dansé dans la rue, de n’importe quelle manière, vous comprenez alors le sentiment que cela procure. Vous savez que danser dans la rue, c’est livrer une part de nous-même et c’est se sentir totalement libre.
Lorsqu’on parle de street dance, il s’agit d’une danse à fort caractère identitaire qui puise ses sources dans la culture afro-américaine, le mouvement pour les droits civiques des années soixante étant le contexte qui l’ont vue naître. L’aspect folklorique et communautaire de cette danse est au centre de son fonctionnement. Une partie essentielle et spécifique au street dance gît dans l’improvisation et le besoin d’exprimer librement une forme d’émancipation et de libération. Les “street-dancers” ont leur propre langage, et pour comprendre les rouages de leur message, il faut apprivoiser tout un lexique. Pour les non-initiés, en fréquentant ce milieu apparemment clandestin, vous aurez peut-être l’impression de vous retrouver dans un monde sous-terrain et méconnu, en entendant des mots à consonance totalement étrangère au commun des mortels, tels que : popping, breaking, locking, waacking, housing… Autant de termes pour caractériser le type spécifique de danse dans lequel chacun évolue à sa manière.
Pour apprendre le street dance, MonstaPop se veut rassurant en notant qu’il n’est pas nécessaire d’être svelte ni athlétique, bien que lui ait l’allure d’un colosse ayant une indubitable force. Il ne suggère pas d’aller simplement dans un studio de danse conventionnel où l’on pourrait recevoir des théories qui entrent dans de petites cases. Il nous incite plutôt à naviguer et à sauter dans le bain même de la culture du street dance, en allant directement vers la communauté. Mais bien sûr, si vous avez comme atouts la coordination et le sens du rythme, vous aurez probablement un petit pas d’avance. La transmission du street dance se fait un peu comme la tradition orale, d’un ancien à un autre. Lorsque Handy Yacinthe nous parle de ses mentors et de ses collègues, on comprend l’immense considération qu’il leur porte et on ressent toute sa volonté de transmettre au suivant les connaissances acquises au fil des ans.
Nul n’est prophète en son pays
En dehors de Montréal, il existe un gigantesque réseau de street dance, alors qu’ici, au Québec, ce milieu reste encore en marge. MonstaPop a participé à plusieurs dizaines de concours et de grands évènements à l’international, du Japon à la Hollande, en passant par l’Italie et plusieurs états américains, pour ne nommer que ceux-là. Comme plusieurs de ses collègues street-dancers, il s’est fait une réputation certaine et a réussi à se frayer un chemin envié qui lui permet depuis quelques années de bien vivre de ce métier qui est aussi sa passion.
Si on veut parler de l’éléphant dans la pièce, en d’autres termes, le milieu culturel québécois est traditionnellement peu enclin à mettre en lumière les artistes issus des communautés culturelles. C’est la raison pour laquelle nombreux sont les artistes forcés de quitter la province pour recevoir la notoriété légitime qu’ils méritent. Ce phénomène s’observe d’ailleurs dans tous les milieux artistiques. MonstaPop nous parle d’une crainte possible de la part des gardiens de la Culture, et même d’un mépris, lié sûrement au fait que cette sorte de danse vienne d’abord des quartiers populaires, de la rue, et des gens « différents » en grande majorité. Il nous confirme heureusement que les gouvernements semblent évoluer sur la question et le milieu ressent enfin, depuis peu, plus d’encouragement que dans les années passées.
Le Québec d’aujourd’hui n’est plus tout à fait le même que lors de la création des grandes institutions du milieu de la Culture. Pourquoi existe-t-il donc encore autant de réserve lorsqu’il s’agit de remettre des subventions importantes afin de propulser les artistes et les formes artistiques diverses qui émanent de nos communautés? Faire rejaillir la culture québécoise à l’international et intramuros, ce n’est plus simplement de l’ordre des traditions conservatrices et séculaires. Les métissages génétiques et culturels ont changé le visage de la culture québécoise et, par le fait même, prouvent que plusieurs styles d’art sont à reconnaitre comme « arts de chez nous ». Il serait grand temps d’arrêter cette forme de snobisme condescendant et d’embrasser la Culture québécoise avec de plus grands bras qu’auparavant.
Plus qu’optimiste, il s’agit d’être optimal
Depuis le mois de mars 2020, Handy Yacinthe a vu plusieurs de ses projets annulés. Il n’a pas pu se rendre tel que c’était prévu, ni en Malaisie, ni au Mexique, ni en Chine, ni en Europe. De nature optimiste, résilient devant les épreuves difficiles qu’il a vécues, il nous dit que cela lui a permis de prendre une pause et de mieux réfléchir sur la manière dont il se renouvellera.
MonstaPop est plus qu’un danseur, il porte des chapeaux qui lui vont par ailleurs très bien : gestionnaire de projets, directeur artistique, juge pour des évènements importants, cofondateur de festival, etc. En s’impliquant ainsi de multiples façons, il désire mieux faire reconnaître les pratiques artistiques de notre communauté plutôt que d’attendre que cette reconnaissance vienne « de l’extérieur ». On n’est jamais si bien servi que par soi-même, dit le dicton, et Yacinthe semble l’avoir bien compris.
Après plusieurs mois « dans sa grotte », comme il s’amuse à dire, il sera ce dimanche 15 novembre 2020, à la Place des Arts, où se tiendra pour la première fois un événement virtuel important pour le milieu : le Joat Battle. « Joat », étant l‘acronyme du festival que MonstaPop a cofondé en 2014, The Jack of all Trades. « Battle », étant ce nom distinctif que l’on donne aux tournois de street dance, à travers le Monde. Le Joat Battle est une expérience de street dance propre à Montréal. Les danseurs qui y performeront sont reconnus sur le plan international. C’est le moment ou jamais de s’initier à cet univers!
En temps normal (entendre ici « hors covid »), l’ambiance d’un battle est digne des antiques combats de gladiateurs, nous raconte MonstaPop. Pour un peu, on se sentirait dans un colisée, les lions en moins. La scène est circulaire, le public est en délire, les danseurs s’affrontent en solo à tour de rôle, face à face, et les juges observent scrupuleusement leur performance, en notant la technique, le rythme, l’expression, l’engagement des danseurs. Musique. Deux tours. Trois tours. Silence. Délibération. Le vainqueur est pointé du doigt et acclamé en recevant son nouveau titre prestigieux.
Ce dimanche cependant, les choses se passeront un peu différemment. MonstaPop et son équipe espèrent que l’esprit « match de boxe » sera conservé malgré les règles de distanciation et l’absence physique du public dans la salle. Il y aura les écrans. Ce sera animé. Ce sera un battle nouveau genre, adapté à cette époque étrange que nous vivons. Mais il y aura du talent, et ça sera local. Du street dance, tout bleu.
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