Il y a 50 ans, presque jour pour jour, Montréal vivait un moment déterminant de son histoire en tant que ville multiculturelle. Blackout témoigne de cet événement qui pourtant reste pratiquement inconnu de tous et toutes aujourd’hui, et auquel on ne se réfère jamais dans la mémoire collective lorsqu’on parle de tensions interraciales ou d’émeutes étudiantes. La pièce Blackout est née de la volonté de plusieurs personnes de remettre la lumière sur ce qui fût l’émeute raciale la plus marquante de l’Histoire canadienne.
Une histoire vraie
Si on vous demande de citer un épisode violent ou contestataire de l’histoire étudiante au Québec, vous répondriez quoi? La tuerie de Polytechnique (1989) ou le Printemps érable (2012), probablement. Vous ne penseriez jamais qu’en 1969, peu après les luttes de Martin Luther King aux États-Unis, et quelques mois avant que Neil Armstrong ne pose le pied sur la Lune, 6 étudiants d’origine antillaise se sont tenus debout devant des injustices commises par l’un de leurs professeurs de l’Université Concordia, jadis appelée l’Université Sir George Williams. Venus de l’étranger pour parfaire leur éducation, afin de devenir médecins, avocats, philosophes, psychologues; élèves assidus, motivés, sérieux, ils ont réalisé au fil du temps qu’ils subissaient de la discrimination raciale jusque dans l’évaluation de leurs travaux et la manière dont on leur adressait la parole. 200 étudiants, Blancs et Noirs, se sont joints à eux pour revendiquer leurs droits. Un professeur de biologie, Perry Anderson, s’est retrouvé accusé de racisme. Malheureusement, l’histoire de termine comme d’habitude : les Noirs finissent menottés, dont certains carrément en prison, et les Blancs sans égratignure, voire même avec des titres honorifiques.
Soir de première
À la première de Blackout, l’émotion était palpable. Étaient présents entre autres le Dr. Clarence Bayne, professeur d’économie en poste en 69, et Dr. Rodney John, ancien étudiant militant impliqué dans l’histoire, qui nous a révélé, ému aux larmes : « La pièce était fantastique! J’étais venu voir une pièce de théâtre, je me suis retrouvé à vivre une expérience. J’ai revécu toute la séquence des événements de l’époque. »
La pièce reconstruit la chronologie des événements qui ont mené à l’émeute, nous faisant ressentir jusqu’aux agitations vécues par les personnages. Les jeunes acteurs ont su nous retransmettre l’ambiance qui régnait dans ce groupe d’étudiants et nous émouvoir grâce à un réel apport culturel. Tous et toutes afro-descendants, ils rendent leur jeu aussi réaliste qu’un documentaire, tout en gardant un point de vue subjectif voulant refléter la vision des étudiants impliqués. Cette pièce est vraie, dynamique, campée dans un décor simple et empreint d’un parfait réalisme. Les costumes et coiffures sont fidèles à l’époque, les chorégraphies et chants servent bien le propos et les dialogues ne manquent pas de saveur, propre à la culture antillaise des étudiants personnifiés.
Le nécessaire retour sur les lieux du crime
Le producteur et metteur en scène, Mathieu Murphy-Perron, nous raconte que ce projet a commencé à germer à l’automne 2007, devant une projection d’images de l’émeute de 1969, au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Ancien étudiant de l’Université Concordia lui-même, il était déjà informé de l’affaire Sir George Williams, et très inspiré par l’idée de créer un jour quelque chose dans cette veine, pour que cela serve à la mémoire collective. Il s’affaire donc à des demandes de subventions pour se permettre de louer cette salle prestigieuse, car il imagine produire une pièce portant sur l’émeute, et de la faire jouer dans le théâtre même de l’Université Concordia, le théâtre D.B. Clarke, nommé en l’honneur de l’homme qui était recteur l’Université à l’époque. Ce même D.B. Clarke qui a alerté la police antiémeute pour arrêter les étudiants protestataires. Ironie du sort, Murphy-Perron obtient les fonds nécessaires ainsi que la disponibilité de la salle aux dates précises pour commémorer le 50e anniversaire des événements. Blackout se tiendra donc jusqu’au 10 février 2019 dans l’immeuble où a eu lieu l’émeute, neuf étages au-dessous précisément. « Les étoiles étaient bien alignées » ajoutera-t-il, non sans fierté dans les yeux de faire ainsi un pied de nez à l’Histoire. Il se dit heureux de la couverture médiatique que reçoit la pièce en ce moment et espère que les gens prendront conscience de la portée historique de ces événements pour la population montréalaise.
La réflexion qui subsiste
Pour la jeune actrice Briauna James, c’est seulement en se préparant pour la pièce qu’elle a pris connaissance de l’Affaire Sir George Williams, comme la plupart d’entre nous d’ailleurs. Très touchée de pouvoir participer à ce genre de projet, elle souligne qu’il est important de prendre conscience qu’historiquement, on a toujours diminué l’apport des revendications des Noirs. Elle espère que la pièce aura un futur et un impact sur beaucoup de gens.
N’est-ce pas en effet grâce à cette émeute à l’Université Concordia si deux ans plus tard, le gouvernement canadien s’est doté d’une politique multiculturelle pancanadienne? Pourquoi ne reconnaît-on pas plus souvent socialement que c’est précisément cet événement qui a engendré des règlements et politiques contre toute forme de discrimination raciale dans les universités québécoises? Il serait grand temps que l’autruche sorte sa tête du sable.
La pièce Blackout lance ici et là subtilement des pistes de réflexion allant dans ce sens, pour en finir avec l’héritage postcolonial et la discrimination raciale sous toutes ses formes.
Pour visionner le documentaire sur cet événement marquant de l’Histoire canadienne: https://www.onf.ca/film/neuvieme_etage/
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