Wiel Prosper (ou Will Prosper), est de ces êtres à l’âme révolutionnaire comme il s’en fait trop peu. Sous sa casquette gavroche qui ne le quitte pas, il porte en fait plusieurs chapeaux qui lui vont bien. Il est philosophe, cinéaste, documentariste, militant, ex-policier de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), mais également papa et citoyen engagé.
Au restaurant Steve-Anna où nous lui avions donné rendez-vous, nous avons rencontré un homme charmant, éloquent, intelligent, qui a le cœur des braves.
Natif de Montréal Nord, de père d’origine haïtienne et de mère d’origine québécoise, il semble malicieux et effronté juste assez comme il faut l’être lorsqu’on défend ses idées. Wiel Prosper croit que grandir dans ce quartier porte naturellement à avoir conscience des injustices sociales et raciales, et à être sensible aux inégalités des chances pour les enfants de toutes cultures confondues. C’est d’ailleurs l’essence de son combat : il voudrait que tous les enfants se reconnaissent dans les livres d’Histoire, qu’ils aient tous les mêmes possibilités dans tous les domaines, particulièrement dans les arts (musique, cinéma). Il dit : « Je veux m’assurer que chaque enfant puisse rêver ce qu’il et elle veut être, et qu’on leur donne les moyens de réaliser leurs rêves. »
Plus jeune, Wiel Prosper militait contre la brutalité policière, tout comme son père l’a fait il y a une trentaine d’années pour l’affaire Anthony Griffin (le 11 novembre 1987, un jeune homme noir de 19 ans, non armé, a été abattu par un policier devant un poste de police de Montréal). De père en fils, la fibre de contestataire s’est visiblement transmise, et quelques années plus tard en 2008, c’est lors du cas Fredy Villanueva (né au Honduras, âgé de 18 ans, sans antécédent judiciaire, non armé, il est abattu lors d’une intervention policière dans l’arrondissement Montréal-Nord, le ) qu’il a fondé avec d’autres activistes le mouvement social Montréal-Nord Républik. Ce groupe vise à dénoncer les actes de brutalité policière et à sensibiliser la population aux notions de profilage racial et aux injustices commises envers les citoyens issus des minorités visibles.
Lorsqu’il pose des actions de désobéissance civile, ce sont ses enfants et sa connaissance de la loi de par son passé dans la GRC qui l’aident à garder des balises pour ne pas aller trop loin. Certaines histoires génèrent énormément de frustration, mais Wiel Prosper maintient un calme olympien et choisit de canaliser sa colère en pratiquant plusieurs sports. Son attitude pacifique et son savoir l’aident assurément à s’exprimer devant les médias, et vulgariser certaines problématiques à la population. Toujours articulé et posé lors de ses interventions et explications, il semble zen et imperturbable. Cela ne l’empêche pas d’avoir reçu des menaces et des commentaires haineux pour qu’il se taise. Il brasse les consciences et cela dérange.
Chaque petit pas compte
Lorsqu’on lui demande quelles sont les personnes qui l’inspirent dans ses luttes, il répond spontanément que « ce sont ceux et celles qu’on ne connaît pas et qui font un travail de terrain chaque jour. » Tous les intervenants qui travaillent d’arrache-pied, dans l’ombre, dans les organismes communautaires comme à la Maison d’Haïti ou ailleurs. Quotidiennement, elles font un travail colossal , souvent sans compter les heures en tant que bénévoles, et surtout sans recevoir de rémunération. C’est grâce à toutes ces personnes que les causes sociales évoluent. « Si ces gens-là disparaissaient, on verrait tout le travail qui ne se fait pas dans notre société », dit-il.
Pourtant, dans la société québécoise, il y a encore des gens qui nient l’existence même du racisme, alors que nous pouvons régulièrement entendre des dérapages dans nos médias, tel que récemment l’animateur de radio Énergie, José Gaudet, qui comparait Gregory Charles à un excrément. Wiel Prosper a déposé une plainte à ce sujet, et se demande comment se fait-il que personne du milieu artistique ne réagisse ouvertement et nettement sur la question. Même les politiciens comme Emmanuel Dubourg ou Dominique Anglade se taisent.
Faisant un parallèle avec le cas de la comédienne américaine Roseanne Barr qui a récemment émis des gazouillis à caractère raciste, Prosper souligne que la société québécoise réagit bien différemment au racisme perpétué par ses vedettes. Pour avoir comparé une ancienne employée de Barack Obama à un singe, l’émission de Roseanne Barr dont elle est l’actrice principale a été carrément retirée des ondes malgré son immense popularité. « Ici, de simples excuses suffisent, alors que les Américains choisissent d’envoyer un message fort et clair à la population, en disant que ça, c’est inacceptable en 2018 », note Wiel Prosper. La liberté d’expression serait-elle un privilège blanc? Ou existe-t-elle également pour les personnes noires et racisées? C’est une question qu’il se pose dans ce genre de cas. L’histoire de José Gaudet et surtout le constat du silence des personnes en position de pouvoir laissent comprendre que le million de personnes racisées du Québec sont encore considérées comme des citoyens de seconde classe, nous explique-t-il, et c’est très décevant.
« Mais les choses avancent, même si elles le font lentement. Grâce aux médias sociaux, les gens ont accès à ce qui se passe à l’extérieur, les nouvelles voyagent vite. Il y a quelques années, peu de gens parlaient de la notion de profilage racial, alors qu’aujourd’hui tout le monde admet que cela existe dans notre société. De là à prendre les moyens pour la combattre, c’est autre chose. Mais ça avance. »
Du cinéma qui bouscule
Wiel Prosper est documentariste. Ses implications sociales ont un coût, celui de lui fermer des portes au niveau des producteurs, diffuseurs et maisons de médias importants. Ses films sont toujours en lien avec ses idéaux. Il a son propre créneau en quelque sorte, qui relie ses deux grandes passions, le militantisme et la réalisation cinématographique. Bien sûr, on y retrouve également une touche multiculturelle, souvent haïtienne, agrémentée de féminisme et de rébellion juvénile. L’homme ne se renie pas. Sa mémoire cellulaire agit dans chacun de ses gestes.
Le documentaire dont il est le plus fier est son premier, The lost tapes, réalisé en 2006, qui dresse le portrait des jeunes rappeurs québécois des années 2000. Le documentariste affirme qu’il aimait le fait de suivre ces jeunes dans leur quotidien, et que cette proximité apportait un regard cru sur les embûches qu’ils vivaient comme jeunes entrepreneurs dans le milieu de la musique hip-hop de l’époque. C’est un film rempli de moments forts, souligne-t-il, dont le parcours fût sinueux afin de le rendre public. Après avoir d’abord perdu ses fichiers pendant plusieurs années, puis les avoir retrouvés et mis en ordre, le documentariste-militant a envoyé son résultat final à plusieurs postes de diffusion et aucun ne lui a donné suite. C’est uniquement le vice-président de la programmation de Canal D à ce moment-là, Jean-Pierre Laurendeau, qui a cru en lui et lui a donné la chance de diffuser ses documentaires suivants sur la chaîne de télévision.
Par la suite, Canal D est devenu en quelque sorte son principal diffuseur, pour ses documentaires suivants : Les derniers pèlerins (2012), Republik basket (2015), Aller simple Haïti (2017).
Dans tous ses documentaires, Wiel Prosper tient à apporter une touche féministe, en gardant une grande humilité face à tout ce qu’il a encore à apprendre, en matière de black feminism entre autres. Ses histoires comportent ainsi impérativement des personnages féminins, même s’il s’agit de hip-hop ou de basket. Il défait les stéréotypes en impliquant les femmes dans ses œuvres, autant avec les personnages que dans la trame sonore ou la réalisation. Dans son prochain documentaire, Combattant, il a insisté pour qu’une camerawoman travaille avec lui, Vanessa Abadhir, dont il vante l’excellence. Il relate que pendant le tournage, les gens étaient bien impressionnés de la voir travailler, notamment en pilotant des drones en Haïti. Il est fier de l’image laissée dans la population sur place.
Prosper travaille également sur un projet de fiction avec l’ONF (Office national du film) et le collectif Black on black films, inspiré des événements autour de la mort de Bony Jean-Pierre, abattu par l’agent de police Christian Gilbert en 2016. Ce sera pour lui l’exploration d’un nouveau genre, en gardant tout de même un fond de revendication contre la brutalité policière, et surtout, une ambiance « totalement black ». Ce sera l’occasion selon lui de « parler de certaines vérités dont on parle beaucoup entre nous mais dont on ne parle pas assez souvent dans les médias.»
Dans toutes les sphères de sa vie, Wiel Prosper dénonce les injustices et veut faire tomber des murs, en déconstruisant les biais que la population maintient à l’égard des communautés culturelles. Pour ce faire, il utilise sa notoriété pour mettre impérativement en lumière des talents qui sont méconnus et qui n’ont souvent pas de tribune autrement.
« Je me considère comme un éternel stagiaire, je suis toujours en apprentissage, en perfectionnement. Je pense que cette voie-là, à chaque fois, selon ce qui se passe dans la société, elle change et s’adapte. (…) Je ne suis pas encore exactement ou j’aimerais être, je pense que je peux pousser plus loin, mais je vais vers cette direction-là. Je fais quelque chose que j’adore, que j’ai toujours voulu faire depuis que je suis jeune. Mon premier rêve c’était d’être réalisateur. Je suis déjà comblé de pouvoir faire ça. (…) J’ai hâte de voir les prochains films que je vais sortir. »
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