Il y a quelques jours, un grand artiste a dit adieu à la terre des hommes. Un génie des mots, un surdoué du son. Celui que l’on surnommait le Rossignol, a tiré sa révérence de la manière la plus artistique qu’il soit, en quittant la scène, en fermant le rideau.
Les mélomanes regrettent, oui, parce qu’il est mort, mais égoïstement aussi, parce qu’ils savent que ça prendra des années avant d’avoir un autre ambassadeur de la musique africaine du calibre de l’illustre disparu.
Comme tout grand personnage, sa mort a créé une polémique. Débat propulsé par le 2.0. Entre les complotistes qui sont, 100% sûrrrrs et certains, qu’il s’agit d’un empoisonnement au micro, les fatalistes qui résume tout bonnement que « quand c’est ton heure, c’est ton heure » et les extrémistes prêts à déclencher une guerre civile Congo-Ivoirienne, il reste peu de place pour le gros bon sens.
Il y a bien entendu des questions à se poser. Exemple, comment se fait-ils que des secouristes de la Croix-Rouge présents sur le podium, ne savent pas comment… secourir ? À quoi servent leurs dossards alors ? À avoir un accès backstage ? Une entrée gratuite ?
Et si plusieurs s’étaient évanouis, comme ça arrive parfois dans les concerts, comment on gère ? Y a-t-il au moins un professionnel de la santé sur place qui aurait pu orienter et calmer les esprits ?
La réponse prend une dimension spirituelle. Dans une allocution devant public, l’organisateur du spectacle, le chanteur A’salfo, évoque Moïse pourchassé par les pharaons, et finalement épaulé par Dieu pour s’enfuir en ouvrant la mer Rouge. Il serait lui aussi, A’salfo, devant un océan parce que Papa Wemba a décidé de « mourir dans ses bras » sur la scène de son festival, le FEMUA. C’est seulement entre Africains qu’on peut accepter des énormités du genre. Si c’était Johnny Hallyday qui avait rencontré la grande faucheuse sur cette scène, j’aimerai bien entendre le promoteur parlé de mort dans les bras pour affronter des océans.
Bien entendu, il serait grotesque de mettre sur les petites épaules d’A’salfo toute la charge de cette tragédie. Comme il est tout aussi insignifiant de sa part d’affirmer, sans cligner des yeux, que Wembadio est venu honorer son village en y perdant la vie.
Mais malheureusement, cette sorte d’explication est commune en Afrique. Nzambeakosala, en lingala, expression devenue très populaire, signifiant Dieu va faire. Cette phrase est surement la plus panafricaine des formules tant elle omniprésente en Afrique subsaharienne. Mais plus qu’un énoncé, elle a quasiment atteint le rang d’une philosophie, le Nzambeakosalisme. Le courant de pensée des Nzambeakosalistes consiste à rejeter l’homocapax Dei, et a refiler au Miséricordieux tous ses maux de têtes.
Dieu a le dos large, pour emprunter ici, une expression Québécoise. On peut lui faire porter tout et n’importe quoi à ce Dieu : notre négligence, notre incompétence, notre ignorance, et même, notre mauvaise foi. On l’invoque à toutes les sauces. Et nous sommes presque contraints d’avouer que c’est logique : qui à part Dieu serait assez bon pour accepter de prendre toute cette responsabilité, toutes ces critiques ? Qui ferait un meilleur bouc émissaire pour trimbaler les péchés des hommes ? Nzambe ne vous traduira pas en justice, ou ne vous donnera la réplique dans une vidéo YouTube. Avec Dieu comme fonds de commerce, tout passe comme une lettre à la poste. Ce n’est pas moi oh, c’est l’éternel des armées !! Allez c’est réglé, on n’en parle plus.
Nous pourrions en rire si les répercussions n’étaient pas si graves. Parce que des morts comme Papa Wemba en Afrique, il y en a tous les jours. Le regretté, du fait de son statut social, n’a permis que de mettre la lumière sur un fléau qui gruge le continent mère : le haut taux de mortalité pour des incidents mineurs. Les enfants qui décèdent quotidiennement dans des hôpitaux pour manque de matériels, erreur du personnel, ou encore, d’interminables heures d’attente, ont eux aussi, comme le Rossignol, payé de leurs âmes, le prix très élevé de notre médiocrité.
De grâce, ne leur dites pas que Dieu va faire, il a déjà fait beaucoup. C’est à notre tour maintenant.
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