« Le savoir est une arme » énonce un célèbre adage, Ludovic Parfait GOMA bantu originaire du Congo Brazzaville, chorégraphe danseur, comédien, metteur en scène, sculpteur de profession et de talent, transmet aux lecteurs de l’Encre Noir, la cure contre l’ignorance : l’enseignement. Fort de son titre de griot donc conteur, l’énigmatique artiste qui a créé et dirigé plusieurs compagnies au Congo, au Cameroun et en France nous raconte l’histoire du peuple Bantu. Éclairer et orienter afin que les tragédies de notre passé ne se répercutent plus dans notre avenir.
« Il nous faut prendre le temps de comprendre notre histoire, apprendre du passé pour décider qui l’on veut être demain. »
Évoquez-nous votre intrépide parcours.
Je suis le deuxième d’une fratrie de quatre enfants, je tire mon inspiration mon équilibre de l’éducation reçue par mes parents, ils me disaient toujours qu’un homme qui veut avoir une famille doit comprendre les mécanismes de la cellule familiale, quand on est incapable de comprendre cela, on ne peut pas être en mesure de diriger et de guider les Hommes.
Mon père était un intellectuel avéré et diplômé, il souhaitait que je devienne militaire, mais c’est un chemin que j’avais très vite abandonné juste après l’obtention de mon bac. Ma mère était une artiste styliste cotée avec une vraie vision de l’art de la mode.
L’art a toujours été au cœur de ma famille et une évidence pour moi! J’ai collaboré avec plusieurs compagnies et beaucoup d’artistes en Afrique et un peu partout dans le monde… J’ai fait mes études d’art en commençant par les frères Tang, puis je suis allé au CFRAD ( Centre de formation et de recherche en art dramatique) au Congo Brazzaville, après j’ai bénéficié d’une bourse pour faire un stage au ballet de Saint-Pétersbourg, à mon retour au pays j’ai intégré une autre formation à l’école de samba de Rio de Janeiro.
Toutes ces expériences m’ont permis de créer mes propres compagnies et cela m’a emmené à m’installer malgré moi en Europe.
J’ai également étudié puis enseigné au conservatoire de Saint-Ouen-l’Aumône en France j’ai travaillé dans les laboratoires de danse entre la France et la Suisse avec Maurice Béjart. J’ai également fait plusieurs stages avec le mime Marceau et d’autres metteurs en scène et chorégraphes.
J’écris et compose de la musique, ma compagnie au Cameroun se nomme DRUMS BANTU et en France j’évolue avec la compagnie Volubilis mon binôme Véronique Essaka-de-Kerpel et moi donnons beaucoup de spectacles, faisons énormément de création et d’action culturelle et sociale.
Dans mon parcours, j’ai bien entendu connu des embûches.
Expliquez-nous comment vos origines scellent vos créations.
Le royaume Congo commençait de la Nubie jusqu’en Afrique centrale, l’une des reines les plus emblématiques est la reine Nzinga. Je suis d’abord Africain avant d’être Français ou Américain. Ma fondation et ma base sont Bantu et Kamite. J’ai une connaissance spécifique de mes terres, la richesse linguistique notamment est dense ce qui conduit à être polyglotte.
Je réfléchis et je rêve dans ma langue natale, ces idiomes sont chargés et ont résisté aux 1200 ans d’esclavage et d’exploitation orientale et occidentale que l’Afrique a connu! Il faut transmettre ce savoir à nos enfants, les Occidentaux et les autres peuplades doivent se souvenir de leur Africanité, c’est un signe de connaissance de soi et ils doivent s’efforcer également de connaître l’identité africaine. Nous ne pouvons pas dire que l’Afrique n’a pas d’histoire puis ensuite qu’elle est le berceau de l’humanité! Cette contradiction nous empêche d’acquérir la compréhension et nous égare.
Aujourd’hui il est obligatoire que le peuple afro assimile sa culture et son histoire. La diversité culturelle Bantu et africaine en général est un vivier interminable. Des scientifiques et chercheurs africains tels que Cheik ANTA DIOP, Théophile OBENGA etc ont fait un travail incommensurable pour la restauration de l’histoire africaine.
Qu’avez-vous appris de ces chercheurs et savants afros?
Nous connaissons tous l’expropriation mise en place de l’histoire noire de l’Égypte antique à l’Éthiopie contemporaine, par le biais du blanchiment fait des récits et d’illustres personnages africains comme l’Empereur Hailé Sélassié, nous retrouvons également ce procédé dans le livre saint.
Le peuple noir doit être curieux de ses vestiges et apprendre du travail de ses illustres savants, il a fallu fournir un travail pharaonique pour démonter les fausses idéologies qui nous avaient été inculquées. Heureusement, le réveil du peuple afro se manifeste à travers les voix de nos intellectuels. La grandeur de l’Afrique n’est ni fausse ni erronée. Vous pouvez essayer d’enterrer l’histoire, elle finira par sortir son bout de bras pour vous dire je suis là ! Mes voyages et expériences ont élevé mon esprit et alimente ma créativité cependant je dois reconnaître que le continent noir est la source d’inspiration du monde entier ! L’illustre jazzman noir américain Duke Ellington a évoqué à Dakar en 1966 que sa musique était africaine!
Comment apporter l’harmonie et la compréhension dans les dualités : Noir/Blanc, gouvernements/ peuples…?
Les penseurs et les enseignants ont toujours conduit à la révolution. Actuellement la nature nous rappelle que la fonction première de l’homme est d’être humain avant tout, loin d’être pessimiste l’homme ne maîtrise pas tout et la création est libre de reprendre ses droits. Je déplore que la gouvernance instrumentalise les artistes, il faut se positionner intellectuellement, car la culture est l’âme du peuple, le socle, et la racine d’un pays. L’éveil des consciences est la solution face à ces dualités, tant qu’il n’y en aura pas d’alternance proposée, les choses ne changeront pas, il faut cesser de bâillonner la réflexion. La démocratie vient d’une parole donnée pour être analysée afin d’être toujours améliorée, le concept de l’arbre à palabres en Afrique ( Bongui en Kongo ) est le symbole même de la démocratie, dans tous les rites et traditions KONGO l’humilité et le calme sont les facteurs requis.
Ce qui nuit au peuple noir c’est l’égoïsme et la cupidité de certains dirigeants et responsables qui ne cadrent pas avec nos valeurs antique. La quête de l’homme doit être en premier temps son élévation spirituelle pour cela il faut assimiler le pacifisme, l’animisme est similaire en de nombreux points et rites à la foi hébraïque, l’unique divergence sont les restrictions alimentaires et le regard que porte ceux qui ne connaissent pas la spiritualité africaine.
Avant l’arrivée des Européens dans le continent africain, nos ancêtres avaient tous une même croyance en NZAMBI YA MPUNGU ( le Tout puissant) l’étymologie de ce mot est retrouvée dans de nombreuses langues africaines. Le sommet de la pyramide représente le Très-Haut et en bas c’est tout ce qui compose l’univers. Avant toute action nos ancêtres parlaient aux éléments. Le respect de la nature est l’un des fondamentaux de l’animisme. Les guerres n’existaient pas due à la haute élévation spirituelle de la population il y avait bien entendu des bavures, mais elles étaient moindres.
Définissez-nous l’élévation spirituelle et comment y parvenir?
L’alternance du pouvoir est une autre forme d’élévation spirituelle, la peur de quitter le pouvoir et par crainte de son devenir, les reproches et le remords bloquent toute forme d’élévation spirituelle. L’élévation spirituelle c’est cultiver la lumière pour la faire briller.
Dans la culture Kongo les parents d’enfants gémellaires appelés Ta ( père) Ma ( mère ) NGUDI symbolisent la sagesse ainsi que les griots, ils ont le rôle de critiquer ou conseiller la gouvernance et la population. Chaque canton disposait d’une spécificité (Médecine, économie…) le roi ne pouvait prendre une décision sans les consulter. Les savants grecs, romains de l’Antiquité et les premiers colons relataient dans leurs écrits la science noire, l’esthétisme du continent… La domination est un problème d’orgueil. Ceux qui veulent dominer les autres n’ont pas le pouvoir, car ils n’ont aucune élévation spirituelle ou lumière.
Tu ne peux modifier ton cycle court ( naissance/vie/mort où « Lemba » firmament des esprits ou reposent nos défunts ) cependant tu peux élever ton esprit avec des valeurs saines autres que le sadisme que nous connaissons.
Dans l’histoire contemporaine la trahison entre Noirs est-elle réelle?
La notion de traîtrise entre Noir est falsifiée. Au XIXe siècle lorsque les pouvoirs occidentaux se partageaient l’Afrique à Berlin, il n’y avait convié aucun dirigeant africain! Le roi Léopold de Belgique qualifiait même le Congo RDC d’être son jardin privé… Toutes les personnes qui s’élevaient contre cette domination étaient capturées, mutilées ou assassinées.
L’île de Sao Tomé et Principe a servi de laboratoire pour l’élaboration de l’esclavage par les Portugais notamment. Beaucoup d’Africains ont été déportés mais un grand nombre est resté esclave pour les colons sur place. Pendant la torture beaucoup cherchait à sauver leur peau, durant la Seconde Guerre mondiale la France elle-même a connu cette forme de délation pour la survie. Nous avons subi les mêmes meurtrissures et pressions que nos frères déportés. Il y a eu beaucoup d’erreurs commises, mais nombreux se sont battus pour que les événements se passent autrement. Certains noirs ont embrassé outrancièrement d’autres cultures au détriment de la leur, cependant nous devons fuir toutes les formes de pollution et que nos cerveaux servent pour l’essor du continent, les afros descendants sont chez eux en Afrique. Dans les lois régissant les gouvernements ( NDZOBI ) ceux-ci étaient soumis à des codes qui garantissaient la bonne gouvernance et l’entente entre les dirigeants et le peuple, désormais ces conventions sont bafouées par certains gouvernants qui prétendent l’appliquer pour attirer les soupirants au gouvernement et séduire le peuple.
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