Je reviens d’un voyage en Haïti. En fait au Cap-Haïtien, deuxième ville du pays. Avant de vous en parler, je vous propose un survol de mon parcours pour que vous me compreniez un peu. Je suis haïtienne. Dans l’âme. J’ai immigré au Canada en 2005.
A l’époque, j’avais une jeune famille et les rapts d’enfants faisaient rage en Haïti. Je suis médecin et je me débrouillais plutôt bien avec une carrière montante. Chaque patient qui franchissait la porte de mon cabinet me demandait à quand viendrait mon tour d’être victime d’un kidnapping. J’exagère peut-être un peu mais à peine. Nous sommes donc partis. Toute la famille. Une fuite en avant. Sans demander notre reste. Mon mari est canadien et du coup mes enfants aussi. J’avais donc la possibilité de rester avec eux en attendant la régularisation de mes papiers. Et j’ai repris mes examens de médecine et le parcours pour pouvoir pratiquer mon métier.
Je retourne à mon récent voyage. J’arrive donc au Cap, début mars 2016. Et je pose sur la ville un regard ambivalent. C’est la deuxième ville du pays comme je vous l’ai dit. Une ville qui s’enorgueillit de plusieurs hauts faits ayant mené a l’Indépendance d’Haïti en 1804. Notamment d’une bataille dans la localité de Vertières, qui aura joué un rôle décisif dans la lutte contre les colons français. Un monument se dresse à cet endroit pour rappeler à tous ce qui s’y était passé.
Aujourd’hui, sans vouloir dénigrer l’histoire racontée dans nos livres, je me demande d’une manière toute simpliste si les français ne se sont pas juste fatigués de combattre des hordes d’esclaves sans cesse révoltés et ont foutu le camp les laissant ensuite se déchirer entre eux. Les avons-nous vraiment butés hors de la colonie ? bref…
Mon propos actuel n’est pas de vous relater la beauté des plages de sable blanc ni du ciel bleu. Pour cela, vous pouvez voir les photos de Labadee sur Trip Advisor. Je ne vous parlerai pas non plus de la succulente cuisine créole que j’ai eu tant de plaisir a retrouver. Non. Mon regard au cours de ce voyage s’est arrêté sur la pauvreté de la population qui m’a une fois de plus touchée. Une fois de trop. Je me suis rappelée pourquoi après mon diplôme , j’ai offert mes services presque gratuitement a l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti. Et je cherche depuis un moyen aussi petit soit-il pour me remettre au service des miens. Pour faire taire un certain remord d’avoir tout pris de ce pays et d’en être partie avant d’avoir fait ce que je considère être ma part.
Dans le domaine que je connais le mieux, et qui est celui de la santé, je me suis attristée de voir dans quel état piteux et insalubre se trouvaient les structures. Je ne pose pas la question du pourquoi. Je ne veux faire de procès à personne. Je me contente de faire un constat. Le principal hôpital de la ville, l’Hôpital Justinien, grouille de marchands ambulants installés dans sa cour. Je ne critique pas ceux qui travaillent sur place qui doivent faire de leur mieux pour délivrer des soins avec les maigres moyens qui sont à leur disposition.
Les quelques autres structures que j’ai pu voir sont privées. Plusieurs d’entre elles ont d’un hôpital juste le nom. S’il fallait mettre des normes, je ne sais pas à quelle catégorie elles appartiendraient. Et pourtant, les besoins sont énormes. Que dis-je la ? GIGANTESQUES.
Des groupes de missionnaires surtout américains et canadiens sont la régulièrement pour effectuer des cliniques mobiles gratuites.
Par le biais d’ un avocat très connu du pays, j’ai appris que le taux de l’infection au VIH-SIDA dans la région appelée « la bande du Nord » et qui est un regroupement de villages au Nord du Cap-Haïtien, frôlait 60% (un chiffre qui est à vérifier car il proviendrait des compagnies d’assurance privées qui fournissent leurs services aux syndicats des employés travaillant pour les compagnies de croisières faisant escale à Labadie. )
60% i.e. que sur 100 habitants, 60 sont testés séropositifs. Si nous ramenons le chiffre à 10, cela veut dire que 6 personnes sont infectées. Imaginez- vous la catastrophe que cela représente si ce chiffre est réel ?
Les facteurs responsables d’une telle statistique sont multiples. J’ai tenté d’y réfléchir avec quelques personnes sur place. Plusieurs hommes de la population sont employés par la compagnie de croisière et sont plutôt bien rémunérés.
- Culturellement en Haïti, un homme qui gagne bien sa vie est la cible des femmes quel que soit le niveau social ou l’éducation. Ceci est encore plus vrai dans les classes défavorisées. Et pour l’homme, avoir plusieurs femmes est un symbole de réussite.
- L’éducation sur le SIDA est répandu certes, mais dans un pays ou l’on se bat pour sa survie au jour le jour, comment perçoit-on une maladie qui tue à petit feu plusieurs années plus tard ?
- La croyance vaudou y joue aussi un rôle à un pourcentage que nous ignorons. Plusieurs croient que le VIH-SIDA n’existe pas. Qu’il s’agit d’un esprit maléfique, d’un « mort » qui leur a été « envoyé » et qui les rend malades. Et d’autres croient que les maladies doivent être « partagées » pour perdre de leur virulence et ainsi en guérir. J’avais connaissance de ces croyances durant ma formation médicale en Haïti et je les espérais dépassées. Mais il semble qu’elles ont la vie bien dure.
Comme je le dis, ce chiffre devrait être vérifié par les autorités sanitaires du Cap-Haïtien. Et ce, le plus tôt possible. Et s’il s’avère réel, tous les moyens devraient être employés pour endiguer cette catastrophe. Cette situation devrait être classée comme une priorité nationale.
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