Le 23 août 1791 est considéré par l’UNESCO comme la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. Une journée fortement symbolique puisqu’à l’image des autres journées internationales elle place l’humanité au cœur des valeurs les plus chères à travers la liberté, la dignité et l’égalité. Une journée aussi fortement historique puisqu’à l’image des autres nations (la France, l’Angleterre et les États-Unis…) considérées comme exemples en défendant, par les révolutions, le respect des droits de l’homme, elle rappelle le souvenir d’une volonté affichée par ces esclaves de revendiquer ce même idéal.
Revenir sur le sens de cette journée, c’est se souvenir de certains faits de l’histoire qui ont favorisé cette conscience revendicative et qui ont déterminé les grands défis posés par ces Africains. Le 23 août 1791, au lendemain de l’insurrection des esclaves à Saint-Domingue, la France avait compris que la liberté est la valeur la mieux partagée et que le combat contre sa privation relève d’une ambition et d’une action dirigée pour se l’approprier. Une motivation, une ambition et une volonté valable pour poursuivre la reconquête d’une liberté arrachée.
À l’origine, un système coercitif et privatif à la liberté avait été le moteur de la société coloniale de Saint-Domingue. Plus besoin de rappeler toutes les tragédies subies par les Africains lors des déportations, les tortures, les vexations et les exactions supportées dans les plantations. Un système d’exploitation mis en place par l’économie des plantations considérait l’homme africain comme un objet soumis à la rigueur du travail. Une exploitation qui trouvait sa justification dans le fameux Code Noir de Colbert de 1685 qui estimait que l’homme noir désigne un « Bien meuble » utilisable selon les besoins du maître et condamnable à digérer les humeurs frivoles des colons.
Dans toutes colonies de plantations, le Code Noir régissait la manière de gouverner les esclaves en les réduisant à l’état de sous hommes. Dans son application, la dissuasion, la persécution et la répression furent de rigueur. Victimes d’ignobles supplices, les sanctions réservées aux esclaves furent inhumaines et contraires au respect de la dignité humaine. Mais derrière les persécutions les plus primitives, se dressent des stratégies de résistances pour s’affranchir de la surcharge des torts imposés. Devant la cruauté des maîtres de fouets, de fleur de lys et de la « mort », le constat du silence approbateur des autorités coloniales témoignaient le mal qui atteste la victimisation de la situation des esclaves.
Au-delà des exactions physiques et des afflictions psychologiques, autant de crimes devaient être supportés et parmi lesquels la séparation des membres de même famille, les viols à l’endroit des négresses et les surcharges quotidiennes du travail des plantations se sont ajouté aux sorts des esclaves durant les trois siècles de régime des plantations.
Il est difficile de revenir sur les moments historiques qui ont guidé l’esprit de la révolte, mais les faits évoquent l’amertume et la crispation morale chez les esclaves indignés de l’apathie des bourreaux maîtres. Sans verser dans la victimisation, il est clair que la négation de la dignité humaine, l’occultation de la liberté, la valorisation de la haine et du racisme ont servi d’appui pour la réaction contre l’asservissement et la soumission destiné sans fin.
[blockquote author= » » pull= »pullright »]Dutty Boukman un esclave né en Jamaique organisa une cérémonie voudou à Bois-Caïman pour un grand nombre d’esclaves, la nuit du 14 août 1791. La prêtresse Mambo, Cécile Fatiman, plongea un couteau dans un cochon noir créole qui fut sacrifié, les assistants burent son sang afin de devenir invulnérables. Le vaudou fut ainsi un véritable catalyseur dans la révolte des esclaves de Saint Domingue, la brèche qui permit aux différentes tribus africaines de trouver une cohésion dans leur quête de liberté. Boukman ordonna alors le soulèvement général. Ce soulèvement eut lieu la nuit du 21 au 22 août où les esclaves de cinq habitations brûlèrent celles-ci et massacrèrent les Blancs, y compris femmes et enfants. Pendant une dizaine de jours, la plaine du Nord fut en flammes. On décompta près de 1 000 Blancs assassinés, 161 sucreries et 1 200 caféières brûlées. Boukman périt au combat, à la tête de ses troupes. Comme il passait pour invulnérable auprès des esclaves, on exposa sa tête au Cap.[/blockquote]
Les enseignements qu’il faut tirer de ce chapitre de l’histoire des insurgés de Saint-Domingue sont tragiques. Entre le XVIe et le XXIe siècle, le parcours dévoile une série de déportation accompagnée d’une saignée démographique suite à l’usage des armes à feu dans les opérations de captivités ; la domiciliation des esclaves dans les cases à nègres dans la colonie où le Code Noir légitime le coup de fouet et les amputations corporelles. Un parcours de déshumanisation teinté d’actes « liberticide ».
C’est pourquoi rappeler les événements de la nuit du 22 au 23 août 1791, c’est témoigner la bravoure et la détermination de ces Africains qui montraient que la lutte pour la liberté est une nécessité universelle et un droit à revendiquer. La guerre d’indépendance d’Amérique de 1776 et la Révolution française de 1789 depuis la prise de Bastille constituent un fervent catalyseur qui a cristallisé la conscience révolutionnaire des esclaves.
Il faut rappeler aussi que cette revendication de la lutte pour la liberté traduit la voie tracée et suivie par les marrons ou esclaves fugitifs qui se sont tant de fois engagés à briser la chaîne de la servitude depuis les premières générations africaines introduites dans la colonie. Au-delà des critères ethniques, c’est l’union scellée autour d’un pacte fraternel au Bois-Caïman qui a déclenché la revendication de la liberté comme symbole de la dignité humaine. Point de départ de la résistance active pour récupérer la liberté arrachée, la cérémonie du Bois-Caïman représente un combat contre l’oubli et le silence des atrocités commises par le régime des plantations. C’est de cette cérémonie que les leaders des pères fondateurs de la nation haïtienne vont émerger en héritant les valeurs cardinales de la cause africaine autour des notions de liberté, d’égalité et de dignité.
Se remémorer des événements de la nuit du 22 au 23 août 1791 c’est en définitive replacer les peuples d’Afrique devant le contexte actuel de lutte contre l’aliénation et l’exclusion culturelle. Se servir de cet héritage en rappelant que quand les citoyens du monde avaient exigé la liberté au XVIIIe siècle, ces Africains à travers leur union sacrée ont posé ce même idéal pour une cause d’égale valeur.
« Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du Canada pour les périodiques (FCP) du ministère du Patrimoine canadien pour ce projet »
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