Le 21 janvier dernier, Louis Morissette, comédien et scénariste québécois, pondait dans le magazine nommé pour Véronique Cloutier un billet intitulé “La victoire des moustiques”. Dans l’article, il se lamente d’avoir été forcé d’embaucher un comédien Noir pour incarner François Bugingo lors du Bye Bye 2015.
Forcé par qui, dîtes-vous? Eh bien, par ceux qui auraient propagé leur venin sur les réseaux sociaux et seraient ainsi parvenus à décourager l’utilisation du blackface. Pour Morissette, ces gens sont comme “des moustiques qui piquent, picossent et bourdonnent jusqu’à te rendre fou au milieu de la nuit”. Parti en véritable croisade pour le blackface au Québec, l’insomniaque ne s’arrête pas là. Cette semaine, Morissette et ses partisanEs se vident le coeur dans le Journal de Montréal, La Presse et on l’entend même sur Ici Radio-Canada.
Il en veut à ces personnes outrées par le blackface au Québec. Celles-ci ne cessent de lui rappeler que cette pratique raciste a été abandonnée quasiment partout ailleurs dans le monde. Alors que le Québec devrait rattraper son retard sur le sujet par rapport à d’autres sociétés progressives, Morissette n’y voit là que de la censure et une atteinte à la liberté d’expression. Ce refus d’accepter la portée de cet acte raciste traduit tout simplement l’ignorance et l’insensibilité de Morissette et cie à la lutte que mènent les communautés racisées et leurs alliés.
Selon Morissette, «À trop vouloir éviter la tourmente, nous vivrons dans une société plate, aseptisée, beige et sans saveur.» Eh bien! cette société plate et beige qu’il décrit s’inscrit dans un présent que nous vivons de plein fouet. Aux États-Unis, la polémique du #OscarsSoWhite déclenchée par l’absence de personnes noires en nomination soulève présentement un débat sur le manque de diversité à Hollywood. Le Québec se mérite également un tel hashtag avec les Jutra, l’Ordre du Québec, les Oliviers, les prix Gémeaux qui reflètent maigrement la riche diversité culturelle du Québec. En effet, les médias québécois peinent à abandonner cette idée fausse que le Québec est blanc, homogène, hétérosexuel. Cependant, le retard du Québec sur ces questions est d’autant plus criant du fait que nous en sommes encore à débattre du caractère raciste du blackface.
La position de Morissette et cie est inacceptable. Cette apologie du blackface, malgré les maintes revendications contraires de ces fameux moustiques, rappelle aussi aux NoirEs du Québec, qu’ici, vous n’êtes pas chez vous et ce malgré une présence aux Québec remontant au 17e siècle. Car, ne l’oublions pas, les colons français de la Nouvelle-France avaient des esclaves. L’histoire officielle du Québec daigne se rappeler de Marie Joseph Angélique, mais elle n’était pas la seule femme noire à goûter au joug du Québec d’antan. Contrairement à ce que Morissette et ses disciples tentent de faire comprendre ad nauseam, le blackface Made in Quebec se calque sur le blackface américain.
Au bout du compte, les apôtres du blackface ne défendent ni la liberté d’expression, ni la liberté de création, mais plutôt la liberté de nier les droits des NoirEs au Québec de vivre sans avoir à subir cette violence symbolique servant à nous rappeler la place qui nous est assignée.
Malgré plusieurs siècles de présence au Québec, les membres de notre communauté plafonnent vite et bas. En 2016, plusieurs facteurs systémiques liées à la race, telles la discrimination à l’emploi et le profilage racial expliquent les écarts socio-économiques marquants que nous subissons. Toutefois, on ne peut continuer à minimiser le rôle des médias dans cette équation, ni de banaliser une pratique aussi raciste que le blackface.
Il est grand temps que les QuébecoisEs se défassent de cette idée enfantine que le racisme ne consiste qu’à ses manifestations les plus crasses. Le racisme n’a pas besoin de ce genre d’excès pour faire son effet. Se prétendre fin connaisseur des nuances du racisme et créer un faux débat sur la liberté d’expression à la sauce Morissette, empêche de faire déboucher la cause. Les défenseurs du blackface ont le devoir d’écouter celles et ceux qui vivent ce fléau et d’arrêter cette pratique une fois pour toute. Parce qu’en vérité, les moustiques ne bourdonnent que leur désir de vivre dans la dignité au Québec.
N’ayez pas peur de créer du contenu intelligent et dépourvu de racisme, Monsieur Morissette, une création culturelle qui participera à l’avancement de la société québécoise au lieu de la cloîtrer dans un temps révolu. On promet, ça ne piquera plus.
Signé: Rachel Décoste, Délice Mugabo, Karine-Myrgianie Jean-François, Nydia Dauphin
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